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qui fait un emprunt à la caisse et ne peut le restituer avant la vérification de son livre ; le garçon de recette qui prélève quelque somme sur la facture dont il a touché le montant et qui compte le rendre lorsqu’il aura reçu ses gages, cela se voit tous les jours et c’est le fond même de la police correctionnelle. La peine terminée, où iront-ils ? À la misère, si on ne les secourt et, par conséquent, à la récidive. Aussi on s’en occupe avec prédilection, et pour eux les efforts redoublent.

Plus d’un est entré en prison écrasé par la chute et par la condamnation ; repentant de sa sottise, réellement vertueux, malgré sa faute, s’excitant à supporter courageusement le temps de l’expiation, et se jurant de ne reculer devant aucun sacrifice pour parvenir au relèvement. Ils sont de bonne foi. L’on n’en peut douter, et cependant, lors de leur libération, ils sont gangrenés jusque dans les moelles ; la prison a fait son œuvre et leur a communiqué ses impuretés. Dans le milieu d’immondices sociales où ils ont vécu, ils n’ont respiré que l’air du vice ; ils n’étaient point de tempérament solide et la contagion les a pénétrés. Ils ont bu toute honte, jeté leur probité par-dessus les lois, et dans la société ils ne voient plus qu’une ennemie à laquelle il est légitime de livrer bataille. Ils ont écouté le catéchisme du vol, ils se sont appropriés les doctrines malfaisantes, ils ont été séduits par la vanité de la lutte, et tel qui a été accablé de remords pour avoir dérobé 20 francs, qui a été désespéré d’avoir été frappé d’une peine de trois mois d’emprisonnement, pratiquera le vol avec effraction et tuera pour essayer de s’assurer l’impunité. Le fait n’est peut-être pas très fréquent, mais il n’est pas rare non plus : il résulte de la prison même. Elle reçoit le condamné, l’enferme, le garde, le met dans des ateliers qui sont des écoles de perversion, dans des dortoirs qui sont des écoles de dépravation, et ne fait rien ni pour son intelligence ni pour son âme. Elle n’est responsable que d’un détenu ; on le lui confie, elle le rend ; c’est tout ce qu’elle exige d’elle-même ; elle se tient quitte envers tous, car on ne lui a pas imposé d’autres obligations. Dans un rapport présenté à Louis XVIII, le 9 avril 1819, le comte Decazes disait : « Il est du devoir comme de l’intérêt de la société d’exiger qu’aucun soin ne soit négligé pour opérer la réforme morale de celui qui doit rentrer un jour dans son sein. » Excellente parole, mais voilà soixante-huit ans qu’elle attend confirmation. Au point de vue matériel, des progrès considérables ont été réalisés, on ne peut qu’y applaudir ; mais sous le rapport de l’amendement, il serait temps de commencer, car nulle tentative sérieuse n’a été faite. La seule mesure efficace qui ait été adoptée et qui pourra mettre fui au danger permanent de la promiscuité et à la contagion de l’exemple est la loi du 5 juin 1875, en vertu de laquelle