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rencontre, dans les izbas russes, des idoles bouriates, en même temps que des images de saint Nicolas dans les huttes des Bouriates. En Europe même, dans la région du Volga, le paysan subit souvent la contagion des superstitions polythéistes ou fétichistes de ses voisins allogènes, les Tchouvaches ou les Tchérémisses, par exemple. Il semble qu’à demi émergé du paganisme, le moujik soit toujours près d’y retomber, quand il ne rencontre pas de main pour l’aider à en sortir. L’immensité du pays, l’éloignement de centres intellectuels et religieux, l’insuffisance et la négligence d’un clergé, à la fois trop peu nombreux et trop peu instruit, sont pour la religion autant de causes de corruption. Chez un pareil peuple, ce qui doit étonner, ce n’est point que le christianisme s’allie souvent à des notions païennes, c’est que la foi chrétienne ait vécu et duré, qu’elle n’ait pas été entièrement étouffée par les ronces du paganisme.

Sous le polythéisme chrétien du moujik, se retrouve une couche religieuse encore inférieure, qu’en creusant un peu l’on découvre également au fond des peuples de l’Occident, la sorcellerie. On ne saurait demander au paysan du Don ou du Volga d’avoir perdu l’antique foi dans les sortilèges et les maléfices, alors que de semblables croyances rampent encore au fond des campagnes, dans les pays les plus anciennement civilisés. À cet égard encore, le spectacle que nous offre l’izba russe nous fait remonter de plusieurs siècles en arrière. En aucun pays contemporain, la confiance dans les charmes magiques, la crainte du mauvais œil et des mauvais présages, la foi dans les songes et les enchantemens n’est aussi commune. Il est peu de villages qui n’aient leurs sorciers, et l’un des livres les plus répandus dans le peuple est le Sonnik, l’interprète des songes.

Ces superstitions sont tellement enracinées que, si l’on ne savait quelle peine a la culture à en triompher en des pays autrement favorisés, l’on serait tenté d’en rejeter la faute sur le sol ou sur la race. Le Nord a toujours été la terre des magiciens, et la sorcellerie y a conservé un caractère plus sombre. Entre toutes les races ou les nationalités de l’Europe, les Finnois ont, sous ce rapport, longtemps joui d’une sorte de primauté. Aucun peuple n’a eu plus de foi dans la force des enchantemens. Les magiciens tchoudes ont, en Russie comme en Scandinavie, gardé leur antique renom. Les traditions finnoises, les poésies recueillies dans les villages de Finlande font à la sorcellerie une place unique dans la littérature. Le grand poème dont les runot, habilement soudées, ont formé le Kalevala, est l’épopée des conjurations magiques. Dans cette sombre Iliade ou celle brumeuse Odyssée du Nord, les héros, au lieu de