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LE SENTIMENT RELIGIEUX EN RUSSIE.

étroite parenté de race ; quant à en faire honneur à la pureté du sang aryen des Russes, regardés comme la lignée directe des Aryas, toutes les données de l’ethnographie protestent contre ce système. S’il est injuste de refuser aux Russes le titre d’Aryens, il est hors de doute que le Slave moderne, que le Russe en particulier, fortement croisé d’élémens finno-turcs, est par le sang un des moins aryens des peuples indo-européens. La ressemblance du vieux slavon avec le sanscrit ne saurait, à cet égard, rien prouver. Les Lithuaniens du Niémen seraient, à ce compte, en droit de faire valoir des titres supérieurs. Les plus éloignés du berceau présumé de nos ancêtres communs, les Celtes, pourraient, eux aussi, par certains côtés, prétendre à une ressemblance avec leurs lointains cousins du Gange, sans que Bretons ou Gallois en puissent conclure au privilège d’un sang plus pur.

Ici, comme en bien d’autres questions, l’appel à la race n’éclaire rien, d’autant que l’instinct mystique est loin d’être également commun à tous les peuples de souche slave. Il est peut-être plus rare chez les Slaves du Danube ou de l’Elbe que chez leurs voisins de sang germanique. Il n’a guère d’empire que chez les Russes et les Polonais, en tant de choses si différens, en cela seul peut-être semblables. Et encore, si, au XIXe siècle, la littérature polonaise, la religieuse poésie de Mickiewicz ou de Krasinski, le poète anonyme, est tout imprégnée d’un douloureux mysticisme, cela tient avant tout aux souffrances ou, comme disent ses fils, au long martyre, à la passion de la Pologne, cette crucifiée des nations. Si Mickiewicz, le grand poète de Lithuanie, s’est, avant Léon Tolstoï, égaré dans les subtils brouillards des sortes mystiques, c’était, chez l’adepte du tovianisme, attendant la résurrection de sa patrie, autant folie patriotique que folie religieuse.

Veut-on, chez les Slaves du Nord, regarder le penchant au mysticisme comme un trait du tempérament national, il faut, croyons-nous, en rechercher l’origine dans l’histoire d’un côté, dans la nature de l’autre. Pour employer le langage du jour, la théorie des « milieux » nous paraît ici moins décevante que celle des races. Si de pareilles recherches ne sont pas entièrement vaines, l’explication la moins trompeuse est encore celle que nous fournissent ces deux grands facteurs du caractère d’un peuple, l’histoire et le climat, autrement dit, le milieu moral et le milieu physique. Chez les Slaves, comme chez toutes les grandes races, l’instinct religieux a ses sources au plus profond du cœur ; chez le Russe, le sentiment mystique nous semble jaillir du sol et découler du ciel.

Nous avons déjà tenté d’analyser les principaux traits de la nature