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— « Quand vous remontez à droite de la Moldau, dit-il dans l’Histoire de mon temps, laissant Prague derrière vous, vous traversez un pays montueux et difficile, aussi mal peuplé qu’aride… puis vous traversez des bois et des rochers pendant près de trois milles. » Il ajoute que les habitans de ces régions ingrates, « sous l’empire de sentimens aussi stupides que superstitieux, » et obéissant aux inspirations de la grande noblesse des prêtres et des baillis très affectionnés à la maison d’Autriche, se montraient tous, jusqu’au moindre passant, hostiles à l’envahisseur de leur pays… « La cour de Vienne, assure-t-il de plus, avait ordonné aux paysans, qui sont tous serfs, d’abandonner leurs champs à l’approche des Prussiens, d’enfoncer leurs bleds sous terre et de se réfugier dans les forêts voisines, leur ajoutant la promesse de leur bonifier tout le dommage qu’ils pourraient souffrir des Prussiens. »

Tant de précautions n’étaient peut-être pas nécessaires pour que la Bohême, antique patrimoine de la maison d’Autriche, si sévèrement châtiée la veille d’une défection qui avait au moins pour excuse le rang élevé et la qualité de l’usurpateur, n’éprouvât que de la haine contre un nouveau conquérant qui n’avait avec elle aucune sympathie, ni de religion ni de race, et qui lui imposait le supplice de devenir de nouveau le champ de bataille de toutes les ambitions déchaînées. Quoi qu’il en soit, l’armée prussienne, opérant pour ainsi dire dans le vide, au milieu de plaines désertes et de villages abandonnés, ne pouvant se procurer de fourrage et de nourriture par le pillage et à la pointe de l’épée, se trouva bientôt à bout de ressources et de subsistances. Cette gêne cruelle était entretenue et accrue par les incursions constantes des détachemens de la cavalerie autrichienne, principalement recrutée, comme je l’ai dit, parmi les insurgés hongrois : hussards et pandours sillonnaient à toute heure les campagnes, s’y répandant comme des essaims de guêpes, interceptant les routes, arrêtant les convois, massacrant les courriers et les éclaireurs, et se dérobant à toute poursuite par la légèreté et la vitesse de leurs montures. Frédéric se vit ainsi, à plusieurs reprises, privé de toute communication régulière, tant avec ses avant-postes qu’en arrière avec la garnison de Prague. Les courriers mêmes de Berlin lui manquèrent à plusieurs jours de suite ; « en un mot, dit-il lui-même, l’armée, retranchée à la romaine, était réduite à l’enceinte de son camp[1]. »

Le prince Charles, bien conseillé, mit habilement cet embarras à profit. Pendant que son armée regagnait à grandes marches la Bohême par le Haut Palatinat, il s’était rendu de sa personne à Vienne

  1. Frédéric, Histoire de mon temps, chapitre X.