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tout moment à chaudes larmes et s’écriant à plusieurs reprises : « Voyez comme elle me disait mes défauts et quelle amie j’ai perdue ! » Son chagrin cependant ne paraissait mêlé d’aucun nouveau retour de repentir, car on remarqua que les fêtes de Noël se passèrent sans aucun témoignage particulier de dévotion de sa part ; aussi, au bout de quelques jours, tout le monde trouvait que le deuil avait duré assez longtemps, et qu’après tout, la santé du roi étant précieuse à l’état, ce qu’il y avait de mieux à faire était de l’engager de reprendre à la vie, en lui fournissant le plus tôt possible les moyens de se distraire. L’avis ne devait pas tarder à être suivi, car, dans les cœurs dépravés, la douleur peut être vive, mais ne fait pas long séjour[1].


II

Une âme virile aurait pourtant trouvé aisément dans les devoirs de la royauté une distraction plus noble que la recherche de nouveaux plaisirs. Il était temps, d’ailleurs, d’y songer ; car pendant que des jours précieux étaient perdus par le roi de France dans ces indignes soins, la situation de ses alliés en Allemagne, et même en Europe, s’était singulièrement compliquée. L’imprudence commise par Frédéric, en s’avançant au sud de Prague, ne laissant derrière lui, dans cette ville, qu’une garnison insuffisante et sans assurer sa ligne de retraite ; la confiance qui avait amené, avec moins de réflexion et de précaution encore, Charles VII à Munich, ces deux fautes, l’une aperçue trop tard par son auteur, l’autre visible dès le premier jour et signalée tout de suite de tous côtés, n’avaient pas tardé à porter leurs fruits.

Frédéric, en particulier, dès qu’il eut établit son camp sur la frontière méridionale de Bohême, entre Budweis, Tabor et Neuhaus, dut reconnaître combien il s’était trompé en comptant qu’il se trouverait en face de la frontière d’Autriche dégarnie et en mesure de marcher sur Vienne sans obstacles. C’était lui, au contraire, qui restait en l’air, en péril à tout moment d’être cerné et séparé de sa base d’opérations. A part les places fortes, dont il avait pu s’emparer par un coup de main, il n’était maître de rien, et le pays tout entier lui échappait. Sa marche était embarrassée à tout moment, et son pied comme pris dans un réseau de difficultés provenant, soit de la configuration des lieux, soit de l’esprit des populations, soit de la nature même de l’ennemi auquel il avait affaire.

  1. Mémoires de Richelieu, communiqués par M. de Boislisle. — Mémoires de Luynes, t. VI, p. 180-193 et suiv.