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duchesse. Le valet de service répondit qu’elle était absente. Il déclina son nom ; même réponse : la duchesse ne recevait personne. « Mais je viens de la part du roi, » dit Maurepas. À ce mot, toutes les portes s’ouvrirent, et il fut introduit jusque dans la chambre où était couchée la duchesse, souffrant, depuis le matin, d’un léger mouvement de fièvre. Près de son lit se tenait le duc d’Ayen, fils du maréchal de Noailles, dépêché probablement par son père pour faire, en prudent courtisan, sa paix à tout événement. Dès qu’il entendit prononcer le nom du roi, le jeune duc se retira, et Maurepas, tirant son papier de sa poche, commença son compliment : « Le roi m’ordonne, madame, y était-il dit, d’avoir l’honneur de vous mander qu’il est bien fâché de tout ce qui a eu lieu à Metz et de l’indécence avec laquelle vous avez été traitée, et qu’il vous prie de l’oublier… » À ces mots, qu’elle attendait sans doute, la duchesse l’interrompit : « Oh ! je sais bien, dit-elle, que le roi n’a aucune part à ce qui s’est passé. — Et pour vous en donner une preuve, reprit Maurepas, il espère que vous voudrez bien reprendre vos appartemens à Versailles ; il vous donnera en toute occasion des preuves de sa protection, de son estime et de son amitié, et vous rendra vos charges. » — « Après s’être acquitté de sa commission, ajoute le duc de Luynes, M. de Maurepas voulut dire quelque chose à Mme de Châteauroux sur la prévention qu’on avait pu lui donner contre lui et l’embarras où il se trouvait de paraître devant elle par cette raison, et lui demanda sa main à baiser. » Sur le mot d’embarras. Mme de Châteauroux répondit qu’elle le croyait bien, et lui donna sa main à baiser en lui disant : « Cela n’est pas cher. » — D’autres prétendent qu’elle répondit : « Cela est sans conséquence… « 

« Le soir, dit toujours Luynes, Mme la duchesse de Modène et Mme la duchesse de Boufflers (deux amies bien connues de Mme de Châteauroux) jouaient chez moi ; on vint annoncer à Mme de Modène une lettre qu’on dit lui être venue par courrier : ce courrier était un laquais de Mme de Châteauroux. Mme de Modène lut la lettre avec empressement ; elle se leva aussitôt et donna son jeu à tenir ; elle passa dans un cabinet où elle écrivit un mot, et alla ensuite dans l’antichambre parler au courrier, à qui elle donna huit louis. Le courrier montra cet argent à ceux de sa connaissance, en disant qu’il lallait qu’il eût apporté une bonne nouvelle, puisqu’il était si bien payé. » — Effectivement, le billet contenait la reproduction, à peu près textuelle, du papier lu par Maurepas, et, dès le soir même, un grand nombre de copies circulaient dans Paris, ce qui prouvait que la matinée avait été employée à les préparer[1].

  1. Mémoires de Luynes, t. VI, p 162-163.