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paraître, elle songe à en finir en s’adressant directement au cœur du roi. Une lettre est déjà prête pour lui être remise par un messager qui va partir pour aller à sa rencontre ; mais Mme de Tencin, experte conseillère en ce genre d’affaires, l’arrête au passage : « Vous avez raison, dit la duchesse, il vaut mieux attendre que manquer son coup… Mais je ne sais plus où j’en suis, je ne reconnais plus en moi ni Mme de La Tournelle ni Mme de Châteauroux, je deviens étrangère à moi-même[1]. »

Le roi était attendu le 14 novembre à Paris ; quatre jours auparavant, le 10, on eut quelque indice des dispositions dans lesquelles il arrivait, par deux ordres d’exil expédiés de son cabinet à l’adresse : l’un, du duc de Châtillon, gouverneur du dauphin ; l’autre, de M. de Balleroy, qui, après avoir rempli les mêmes fonctions dans l’enfance du duc de Chartres, était resté auprès du prince sur le pied de secrétaire intime. Pour le duc, sa disgrâce était expliquée par un motif ostensible et avoué. C’était lui qui, sans autorisation et contre l’avis même du ministère, avait cru devoir faire partir le dauphin pour Metz au moment de la plus grande inquiétude. Averti de la convalescence du roi à Châlons, il n’avait pas cru devoir suspendre le voyage ; mais, dès le premier moment, la froideur de l’accueil fait par le roi à son fils n’avait que trop fait voir qu’un mourant prend rarement en bonne part les soins trop empressés d’un héritier. Tout le monde fut convaincu cependant que le véritable tort de M. de Châtillon était d’avoir hautement applaudi au renvoi de la favorite et d’avoir même tiré de ce châtiment exemplaire une instruction morale pour l’édification de son élève. Quant à M. de Balleroy, des commentaires plus plausibles encore allèrent aussi leur train, car on ne connaissait de reproches à lui faire que sa parenté avec la maison de Fitz-James et ses relations avec l’un des princes dont la brusque entrée dans la chambre du malade avait amené toute la crise. Quoi qu’il en soit, le parti religieux tout entier se sentit atteint dans la personne de ces deux seigneurs, et Maurepas, chargé de l’exécution de l’ordre d’exil, ne le transmit qu’avec consternation[2].

L’inquiétude et la curiosité, devenues générales à la cour, se répandirent bientôt dans la ville, et des propos, des nouvelles contradictoires, des rumeurs de toute sorte se propagèrent et s’échangèrent à voix basse pendant toute la durée des fêtes d’une pompe

  1. Mme de Châteauroux au duc de Richelieu, 22 avril, 13, 20 septembre 1744. — De ces lettres, les unes se trouvent en original à la bibliothèque de Rouen, d’autres m’ont été communiquées par M. de Boislisle, en même temps que le fragment des mémoires de Richelieu. — Voir aussi Goncourt, Maîtresses de Louis XV, t. I, p. 366.
  2. Mémoires de Luynes, t. VI, p. 133-135. — Journal de Barbier, novembre 1744.