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Et voyez comme la théorie du leitmotiv est heureusement oubliée dans ce second acte, comme on jouit de cette abondance et de cette variété! Quand, au premier acte, Sabatino parlait à Renzo de son amour pour Angiola, il le faisait en une phrase assez insignifiante d’ailleurs : Ne crains pas que mon âme change, écho affaibli de certaine phrase d’Henri VIII : La beauté que je sers est blonde. Ici, devant Angiola, pourquoi ne reprend-il pas le même motif? Tout simplement parce que M. Saint-Saëns en a trouvé un autre, et qu’au fond la moindre trouvaille de l’imagination vaut mieux que tous les systèmes du monde.

Charmant, le petit trio des fiançailles, intime et recueilli; charmante surtout, la scène des pauvres. Ce finale n’est qu’une symphonie vocale et instrumentale, tissée avec deux mélodies légères par un merveilleux tisserand. La trame du morceau est d’une égalité parfaite. Les voix, les instrumens sont divisés à l’infini, mais avec un balancement, un équilibre des groupes, qui produit une sonorité d’ensemble moelleuse et pleine. Le bourdonnement de l’orchestre ne cesse pas; il accompagne le va-et-vient des jeunes filles, des religieuses empressées à leur office charitable. Ce n’est pas que l’idée mère du morceau soit de la qualité la plus rare, mais elle est très habilement mise en œuvre; elle circule aisément, elle suit une chaîne sans fin, elle est toujours facile et toujours agréable à retrouver. On est tout à fait charmé par cette première heure de musique, d’une musique bien française, comme notre pays seul en produit, et depuis longtemps déjà. Lorsque M. Saint-Saëns veut se délasser de ses graves travaux, que ne cherche-t-il un canevas de véritable opéra comique? Il a du goût, de l’esprit, et sur une donnée agréable, de demi-caractère, sans mélodrame, sans drame même, le grand musicien pourrait écrire un petit chef-d’œuvre. Après des hors-d’œuvre pareils aux deux premiers actes de Proserpine, on n’en saurait douter.

Hors-d’œuvre, en effet, ces deux actes; au troisième seulement la pièce commence. Dire que la musique finit serait exagérer, mais serait-ce mentir? C’est ici que le drame lyrique se dérobe, qu’il tombe comme dans un fossé, dans le vide du troisième acte. Proserpine, déguisée en bohémienne, attend avec Squarocca, dans un bouge de grand chemin, le traditionnel accident de voiture qui doit lui livrer sa rivale. On trouve là l’inévitable orage avec flûtes obligées et la chanson non moins nécessaire de l’ivrogne. Les détails les plus ingénieux, les plus prémédités ne sauvent pas cet acte. L’invocation de Proserpine à son homonyme des enfers ne nous touche pas; c’est de la fausse passion, de la colère à froid. Le duo des deux femmes est sans intérêt, et surtout le jeu des motifs commence à nous irriter. Le compositeur ménage désormais ses idées : la chanson bachique fait les frais de bien des ritournelles; la rêverie de Proserpine, entendue