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musique. En vérité, je me demande comment de simples conversations peuvent être chantées, et lequel vaut le mieux, pour les rendre, ou du vieux récitatif, qui marchait vite, et trop vite, ou du récitatif actuel, mesuré, soutenu par un orchestre dont l’intérêt doit suppléer à l’insignifiance du dialogue. Ici le soin, l’adresse de M. Saint-Saëns redoublent pour nous occuper, presque pour nous amuser. Renzo s’étonne-t-il que Sabatino n’ait pu se faire aimer de Proserpine, l’universelle, aussitôt ce mot réveille dans l’orchestre le motif du premier chœur, parce que ce motif est intimement lié à l’idée de Proserpine courtisane. Voilà un détail pris entre mille, une de ces bagatelles qui ravissent les amateurs de jolis riens.

Fine est la pavane jouée dans la coulisse, mais qui se permettrait de louer M. Saint-Saëns à propos d’une pavane? Il aimera mieux qu’on apprécie, et nous le faisons, la rêverie de Proserpine, la belle phrase : Amour vrai, source pure, où j’aurais voulu boire. Le compositeur doit l’aimer d’autant plus, qu’avec la phrase déjà citée du prélude elle prétend suffire, ou peu s’en faut, à compléter la silhouette musicale de l’héroïne. Voilà comme on opère aujourd’hui: avec deux motifs on dessine un caractère; il ne s’agit plus que de les retourner en tous sens, de les renverser au besoin, de les hausser ou de les baisser d’un demi-ton. L’inconvénient du système ne se fait pas trop sentir dans le premier acte de Proserpine, où le drame n’est pas encore engagé, où les motifs apparaissent pour la première fois. Quand nous les connaîtrons tous, nous prendrons moins de plaisir à les réentendre; c’est ce que nous verrons tout à l’heure.

Mais ne faisons pas de critique anticipée, et jouissons de ce premier acte, qui tout entier marche à souhait. Le duo de la déclaration, entre Proserpine et Sabatino, haché un peu menu, par périodes un peu courtes, est plein d’agréables choses. La phrase : Si j’aimais! faite de ces notes obstinées auxquelles tient décidément Proserpine, est amoureuse et pénétrante. On trouverait çà et là mille détails piquans, des combinaisons adroites, des retours inattendus, beaucoup d’entrain et de vie. La scène de la présentation de Squarocca est traitée un peu dans le style de certain duo de la Jolie fille de Perth, en épisode symphonique, au-dessus duquel les personnages parlent plutôt qu’ils ne chantent. La colère de Proserpine apprenant le mariage de Sabatino, son exaltation nerveuse, sa fièvre de plaisir et d’orgie, donnent de l’éclat aux dernières pages de l’acte : éclat peut-être un peu vulgaire, témoin le brindisi final; mais la vulgarité se trouve plutôt dans la mélodie que dans le rythme. En somme, cet acte est vif, brillant, écrit et orchestré comme par une main de fée; il est d’un musicien que personne ne conteste plus, et d’un homme de théâtre que personne ne contesterait, s’il entendait toujours le théâtre ainsi.