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de ce siècle ont fait, font encore partie de l’Académie des Inscriptions, ce n’est pas cependant à titre d’écrivains, mais d’érudits, comme Guizot, comme Michelet, et qu’ainsi l’Académie en corps ne semble guère compétente à traiter de l’histoire de la littérature française? Nous ne voyons personne à l’Académie française qui ne fût capable, qui ne dût l’être au besoin, de parler et de bien parler de Montaigne ou de La Rochefoucauld, parce que les Essais ou les Maximes font nécessairement partie de l’éducation générale d’un philosophe ou d’un historien, d’un auteur dramatique ou d’un poète : ils ne font point partie de l’éducation spéciale d’un indianiste ou d’un assyriologue, et l’on s’en passe très bien pour parler des Sargonides, ou du Bhagâvata-Pourâna. De même que d’ailleurs l’habitude littéraire émousse le sens philologique, il arrive, il est arrivé fréquemment que le sens littéraire, aussi lui, ne s’avivât point dans les exercices de la philologie. J’en pourrais rappeler de mémorables exemples. N’est-ce pas un philologue et un philologue « éminent, » — je le cite ici parce qu’il n’est pas Français, — qui a déclaré « qu’une langue littéraire était un monstre dans la nature? » et, d’une manière générale, aux yeux des philologues, les grands écrivains, ceux qui se font une langue à eux, personnelle et originale, que l’on admire et que l’on imite, ne sont-ils point des espèces de perturbateurs, qui dérangent insolemment «l’évolution» logique de la langue de tout le monde? Si Rabelais n’était point né, si Ronsard n’avait pas existé, si Montaigne n’était point venu, si Pascal ne l’avait pas suivi, un philologue ne peut s’empêcher de songer en lui-même que peut-être parlerions-nous encore la langue de Christine de Pisan et d’Alain Chartier, si méchamment mise à mal par ces grands écrivains, trop peu respectueux des « formations populaires; » et qui, voulant dire ce qu’ils avaient à dire, sans autrement se soucier de la grammaire et des grammairiens, le disaient en effet précisément comme ils l’avaient voulu. Mais on voit combien il serait dangereux de donner aux philologues les Pascal ou les Montaigne à juger; sans compter qu’ils n’y tiennent guère, et que, — Dieu leur pardonne! — ils seraient capables, si personne au moins ne les voyait, d’échanger les Pensées pour un bon glossaire du patois bourguignon.

Pour toutes ces raisons, que l’on leur confie donc le Dictionnaire historique de la langue, et que l’Académie française, au lieu d’eux, continue l’Histoire littéraire de la France. A l’Académie des inscriptions, c’est une commission, composée de trois ou quatre membres, et aidée, je crois, de quelques auxiliaires, qui rédige l’Histoire littéraire; mais je ne sais si les articles sont lus ou discutés en séance; et il est de fait que Raimond de Brettes ou Jean de Vicogne n’intéresseraient que médiocrement les numismates de la Compagnie. Mais à l’Académie française, qui