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et si favorablement qu’en réalité ce n’est pas seulement l’idée de Voltaire, mais son plan, que l’on adopta et que l’on suit encore, pour la composition du Dictionnaire historique. Il est même étonnant, à ce propos, que le rédacteur de la Préface du Dictionnaire historique n’ait pas cru devoir y mentionner seulement le nom de Voltaire. Car, « l’origine, les formes diverses, les acceptions successives des mots, avec un choix d’exemples tirés des écrivains les plus autorisés, » tout ce qui est, en un mot, l’objet et la matière de ce Dictionnaire, c’est ce que Voltaire, dans le plan que l’on en a, tracé de sa propre main, avait précisément demandé que l’on y mît. Il a paru, de 1778 à 1887, deux volumes, ou à peu près, du Dictionnaire historique de l’Académie,

Disons la vérité: si l’Académie française n’avance pas plus rapidement dans un travail très long, très pénible, et surtout très méticuleux, il y en a une bonne raison, très simple, mais très forte: c’est qu’elle y est incompétente. L’Académie pouvait croire, en 1778, elle avait le droit de ne voir dans le Dictionnaire historique, avec Voltaire, qu’une extension de son Dictionnaire de l’usage. La critique alors, — j’entends naturellement la critique philologique, — était née, si l’on veut, mais elle était bien jeune encore, toute petite fille, si l’on peut ainsi dire, incertaine de ses méthodes; et elle avait à peine commencé de s’appliquer à la langue française. Les choses ne sont plus aujourd’hui les mêmes, et elles ne l’étaient déjà plus en 1858, quand parut la première livraison du Dictionnaire historique. Une science nouvelle s’était constituée, sur la valeur, sur la solidité de laquelle il ne conviendrait pas de faire trop de fonds, dont les principes n’ont pas toute l’étendue, ni les conclusions toute la certitude que l’on voudrait quelquefois nous faire croire, mais avec qui pourtant il faut compter, et notamment, et surtout, dans un Dictionnaire historique de la langue; — ou nulle part. Ni les questions d’origine ou d’étymologie, ni toutes celles qui touchent à l’histoire des mots, de leurs changemens de sens ou de son, ni même le choix des exemples ne se décident plus, comme jadis, au hasard de l’instinct littéraire, de la mémoire et du goût. Il y a des règles, sinon des lois, il y a des conditions, il y a des principes, il y a aussi des méthodes ; et il faut les connaître; et il faut s’y soumettre, ou, si l’on s’y refuse, il faut dire pourquoi. Quelles études cependant ont préparé les poètes ou les romanciers, les écrivains dramatiques ou les philosophes de l’Académie française, à discerner une bonne étymologie d’avec une mauvaise, la vraie d’avec la fausse ; et d’autant que la fausse, en général, est la plus séduisante? Hommes politiques ou avocats, savans ou historiens, que peut-on exiger qu’ils sachent de la grammaire de la langue d’oil? ou encore, si l’Académie se les est associés, qui dira que ce soit pour l’étendue, pour la précision, pour la sûreté de leurs connaissances