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donc ce gros christ ! » Ses manières étaient rustiques, mais il avait l’esprit fort délié : « Il était doué d’un certain bon sens romain, qui souvent persuade plus que toute doctrine, et qui est le signe particulier des ecclésiastiques nés à Rome. » Adversaire implacable et bruyant du nouvel ordre politique, il se plaignait que Pie IX fit peu de cas de ses conseils, et il souhaitait l’avènement d’un pape qui fût un diplomate capable d’apaiser une situation troublée et de rétablir par degrés de bonnes relations avec toutes les puissances, sauf avec le royaume d’Italie. Il jugea que le cardinal Pecci possédait plus que personne les qualités requises pour cette œuvre de pacification, et il employa toute sa ruse, toute sa finesse, toutes ses rubriques pour le faire élire.

Il avait pour conclaviste un Napolitain, le père Calenzio, prêtre de l’Oratoire, beau parleur, très dévoué à son patron. Depuis plusieurs jours, le père Calenzio avait fait de la propagande pour le cardinal Pecci dans les sacristies, dans les antichambres et même dans les hôpitaux où il allait faire la barbe aux malades. Dès l’ouverture du conclave, Bartolini, qui avait tiré au sort une cellule située au premier étage des loges et qui, gêné par son embonpoint, gravissait difficilement les escaliers, mit son conclaviste en campagne. La nuit comme le jour, l’agile Napolitain, courant de cellule en cellule, glissait un mot à celui-ci, tâtait celui-là, réchauffait le zèle des bien pensans, fortifiait les faibles, ralliait les irrésolus, décourageait les opposans, représentait aux amis de Bilio qu’ils perdraient leurs voix, que jamais Bilio n’accepterait, aux partisans de Franchi que son heure n’était pas encore venue, « qu’il fallait passer par Pecci pour arriver plus tard à Franchi. » Quand le dernier scrutin eut été dépouillé et que l’affaire fut décidée, au moment où le nouveau pape s’asseyait sur l’autel pour recevoir la première adoration du sacré-collège, on remarqua que le visage de Bartolini était rayonnant de joie. Il considérait l’élection comme son œuvre, et il avait le droit d’en être fier : cet intransigeant avait donné la tiare au plus digne, remis les intérêts et le gouvernement de l’église au plus sage.

Quoi qu’il arrive, il y a toujours des mécontens. Les séculiers attachés au conclave s’indignaient qu’on ne leur allouât qu’une pension de 30 francs, qui leur semblait fort mesquine. « Beaucoup protestèrent; ils n’obtinrent rien de plus. Ce fut le premier nuage qui apparut à l’horizon de la petite cour pontificale. » On avait promis aux gens de service de leur donner du macaroni à leur souper; mais ils avaient hâte de retourner chez eux, ils se plaignaient d’avoir souffert de la faim pendant les deux jours de clôture. Léon XIII avait décidé que les cardinaux passeraient une nuit encore au Vatican ; le cardinal de Falloux, qui n’avait pu se réconcilier avec sa cellule, protestait contre cette loi tyrannique. Mgr Lasagni venait d’éprouver un cruel