Le 6 mai 1766, au matin, l’arrêt fut rendu au parlement de Paris, la grande chambre assemblée. Lally fut déclaré atteint et convaincu d’avoir trahi les intérêts du roi, de son état et de la compagnie des Indes, d’abus, d’autorité, vexations et exactions envers les sujets du roi et étrangers, pour réparation de quoi il était privé de ses états, honneurs et dignités, et condamné à avoir la tête tranchée par l’exécuteur de la haute justice sur un échafaud dressé pour cet effet en place de grève. Tous ses biens étaient confisqués et acquis au roi, après prélèvement fait de 10,000 livres pour les pauvres de Paris, et de 30,000 au profit des malheureux habitans de Pondichéry. Le parlement était plein de sollicitude pour les déshérités de ce monde, s’il foulait aux pieds les innocens !
On connut à Paris l’arrêt le jour même où il fut rendu. Mlle Dillon, l’amie de la dernière heure, éperdue, hors d’elle-même, écrivit au roi : « Sire, on m’empêche d’aller me jeter aux genoux de Votre Majesté... Ce n’est pas grâce que je demande, c’est justice. Que Votre Majesté fasse venir MM. de Montmorency et de Crillon ; le premier dira s’il a été entendu, le second dira comment il l’a été. Sire, je vous en conjure, par le sang que mon cousin a répandu pour votre service, par celui de mes deux frères morts en combattant pour Votre Majesté, daignez nous accorder un délai de six semaines ; il ne fera que manifester davantage l’équité des juges, si leur arrêt est trouvé juste après l’examen du procès. »
Louis XV n’était pas l’égoïste de la légende ; c’était un caractère sensible et bon[1], mais essentiellement faible. Il crut que le devoir lui commandait de faire taire les élans de son cœur et de laisser agir ses magistrats. Il se boucha les oreilles pour ne pas entendre les prières désespérées de Mlle Dillon ; son trouble n’en frappait pas moins tous les yeux; il sentait peser sur lui tout le poids de l’iniquité. Il demeura agité pendant les trois jours qui s’écoulèrent entre le prononcé de l’arrêt et le supplice. La veille de l’exécution, à son coucher, il parut plus anxieux que le patient ne l’était lui-même. Lally dormit d’un sommeil paisible cette nuit-là. Le roi se réveilla à plusieurs reprises, demandant avec angoisse quelle heure il était.
Le 8 mai 1766, on transféra Lally de la Bastille à la Conciergerie. Le gouverneur de la Bastille fut humain : il laissa au captif ce qu’on a coutume d’enlever aux condamnés à mort; il permit à Lally d’emporter des bijoux, quelques reliques, tristes épaves, et une cassette
- ↑ Mémoire de Cheverny.