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II.

Dix-huit mois s’étaient écoulés depuis l’exécution de la lettre de cachet. Aucun magistrat n’avait interrogé Lally. Celui-ci avait demandé à être jugé par un conseil de guerre composé de généraux. On n’avait pas répondu à la requête. Le prisonnier embarrassait le gouvernement. Le ministère espérait « que le temps sécherait les boues de Pondichéry » et qu’on oublierait, quand tout à coup un fait imprévu vint rallumer les passions. Le père Lavaur mourut. Ce fut l’occasion d’une recherche dans les papiers de ce moine.

Le père Lavaur avait rédigé en secret sur deux cahiers de modèle différent une sorte de journal des événemens politiques et militaires de la colonie. Le premier, c’était une apologie des actes de Lally; le second, la plus effroyable censure des faits et gestes de ce dernier. Le père Lavaur avait prévu que le drame de la guerre de l’Inde aurait pour dernier acte le procès de Bussy ou de Lally, et il s’était mis en mesure d’être l’accusateur de l’un ou de l’autre.

Au cours de la perquisition, le procureur général au parlement, trouva dans la cassette du jésuite, à côté d’une somme de 1,000,024 livres, le journal contre Lally. On ne trouva point l’apologie. Le procureur-général lut cette diatribe, il y vit l’évidence même, la preuve irréfragable de la trahison. Aussitôt, il adresse au roi une plainte en règle « contre le sieur de Lally, dénoncé sur les faits d’abus d’autorité, malversation, déprédation, même de haute trahison, pour être le procès fait et parfait, audit sieur de Lally, ses complices et adhérens. » On communique le journal du jésuite à toute la cabale.

Le mémoire du père Lavaur, c’était un recueil de calomnies fait avec un art raffiné, une étude réfléchie ; tout s’y tenait en apparence, et pourtant, à bien lire, ce n’était qu’un tissu de commérages et de mensonges enchaînés par un talent habile à rendre indubitable ce qu’il présente comme incertain. Le père Lavaur, en effet, n’affirmait guère; il disait plutôt : « On dit, on prétend, le fait semble vrai. » Le juge qui eût voulu analyser impartialement le mémoire, peser les versions, rapprocher tel et tel passage, en eût bien vite reconnu la fausseté ! Il y avait tant d’absurdités, tant de faits dénaturés, tant de morceaux grossièrement cousus et se détruisant l’un l’autre, tant de contradictions !

Qu’on juge par quelques extraits du journal de la hardiesse, de l’énormité de ces contradictions. Est-on à l’instant du conseil mixte assemblé par Lally pour y proposer le siège de Madras, on lit : « Le général ouvrit la séance par un mémoire où il s’efforça de prouver