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Son beau-père, honteux de ne l’avoir jamais vu ivre, l’avait tant fait boire au dîner qu’enfin il fut « en pointe de vin. » Le soir, le roi fit mettre la mariée à genoux dans son attirail de nuit, et lui fit réciter ses prières à haute voix. La reine profita de l’occasion pour lui dire encore quelques injures, et ainsi finirent ces belles noces.


VI.

Pour la première fois depuis qu’elle était au monde, la princesse Wilhelmine avait eu de la chance. Le mari qu’elle avait tiré à la loterie, sans être un gros lot, était tout justement le fait d’une petite princesse romanesque. Sa bourse était légère, et Bayreuth n’était qu’une fort petite principauté. Mais il était jeune, bien fait, toujours de bonne humeur, merveilleusement bien élevé et poli en comparaison des généraux de Frédéric-Guillaume, enfin, et c’est tout dire, il était fort amoureux de sa femme. Comme elle le lui rendait! Quel changement dans sa vie triste et dénuée! Depuis l’éloignement de son frère, personne ne lui avait adressé la parole avec douceur, personne n’avait pris part à ses peines, et elle se sentait tout à coup enveloppée de tendresse par cet inconnu généreux qu’on lui avait imposé et qui avait compassion d’elle. C’était à n’y pas croire. Le contraste était rendu plus saisissant par la dureté de la reine, qui tenait sa parole de ne point pardonner, par l’insolence des courtisans, qui faisaient leur cour en tournant le dos à la princesse en disgrâce, par la froideur apparente de Frédéric, délivré selon la promesse de son père, mais rendu prudent par le malheur, et par la nouvelle bizarrerie du roi, qui ignorait sa fille depuis qu’elle n’était plus qu’une pauvre petite margrave en herbe. Frédéric-Guillaume s’était imposé, en revanche, de rendre son gendre moins ridicule en lui enseignant les quatre vertus qui étaient à ses yeux les cardinales : le vin, l’économie, l’amour du militaire et les manières allemandes. Dans ce dessein, il travaillait tous les jours à l’enivrer, et il lui avait donné un régiment en lui « insinuant qu’il lui ferait plaisir d’aller en prendre possession. » L’économie s’apprenait de force : le roi ne donnait pas un écu au nouveau couple et paraissait avoir entièrement oublié la dot et le contrat.

Les jeunes gens mouraient d’envie de s’en aller à Bayreuth. Ils tinrent conseil sur les moyens d’amener le roi à régler leurs affaires. « Il n’y avait que deux moyens, écrit ingénument la margrave, de s’insinuer auprès de lui : l’un était de lui fournir des hommes de haute taille ; l’autre de lui donner à manger avec une compagnie composée de ses favoris et de lui faire boire rasade. Le premier de ces expédiens m’était impossible, les géans ne croissant