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enfermée, lorsqu’elle vit apparaître dans sa chambre le ministre Grumkow, suivi de trois hauts personnages. Ces messieurs lui représentèrent fortement les maux que son obstination attirait sur sa maison et sur le pays : le roi et la reine à la veille d’une rupture complète ; le prince Frédéric toujours en prison et menacé d’un second procès, ses amis et ses domestiques exilés, fouettés, enfermés dans des cachots, la discorde dans toute la famille royale. Il dépendait d’elle de mettre fin à une situation intolérable ; le roi lui promettait que, le jour de ses noces, il donnerait la liberté à son frère, rendrait ses bonnes grâces à la reine et oublierait le passé. « Les grandes princesses, ajouta Grumkow, sont nées pour être sacrifiées au bien de l’état. Ainsi,-soumettez-vous, madame, aux décrets de la Providence et donnez-nous une réponse capable de rétablir le calme dans votre famille. »

Raison, lassitude, tendresse pour son frère, indifférence pour elle-même, tout plaidait ce jour-là en faveur de la volonté du roi. Elle céda. On lui proposa le margrave de Bayreuth ; elle le prit. Frédéric-Guillaume lui écrivit en apprenant sa soumission : « Le bon Dieu vous bénira, et je ne vous abandonnerai jamais. J’aurai soin de vous toute ma vie, et vous prouverai en toute occasion que je suis

« Votre fidèle père. »


La reine lui écrivit de son côté : «Je ne vous reconnais plus pour ma fille, et ne vous regarderai dorénavant que comme ma plus cruelle ennemie, puisque c’est vous qui me sacrifiez à mes persécuteurs, qui triomphent de moi. Ne comptez plus sur moi; je vous jure une haine éternelle et ne vous pardonnerai jamais. »

Ce fut la reine qui tint parole.

C’est ainsi que la princesse Wilhelmine fut enfin mariée, le 20 novembre 1731, à un prince que le roi son beau-père méprisait profondément et prenait pour châtier sa femme et sa fille; que sa belle-mère haïssait parce qu’il représentait la ruine de ses rêves ; que sa femme n’avait préféré qu’au cachot, et que personne du reste n’avait jamais consulté dans toute cette affaire. Les mariés durent se considérer avec curiosité et intérêt; ils avaient à faire connaissance de fond en comble.

Le roi pleura convenablement durant les cérémonies officielles, et fut libéral de promesses qu’il n’avait pas dessein de tenir; il remit le contrat après le mariage. La reine fut d’humeur épouvantable : on lui avait fait savoir, — ou croire, — que le mariage anglais allait justement être décidé ce jour-là; tandis que l’on coiffait sa fille d’un côté, elle la décoiffait de l’autre, afin de donner au courrier d’Angleterre le temps d’arriver. Le marié était gris.