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des tourmenteurs de son père et bien qu’elle y souffrît cruellement de la faim. Elle avait quelques livres, de la musique, son aiguille et, çà et là, des éclairs de solitude et de repos. Elle comptait plus tard parmi les meilleurs de sa jeunesse les jours passés ainsi au secret, des sentinelles à sa porte et les oreilles rebattues des menaces du roi. Elle ne fléchissait que lorsqu’on lui représentait l’intérêt de son frère ; il est même surprenant qu’avec sa tendresse passionnée pour lui, elle ait tenu bon si longtemps, et dans l’unique dessein de plaire à une mère qui ne méritait pas, ce semble, de tels sacrifices. Telle est la tyrannie glorieuse de l’affection filiale : on aime ce qu’on a. Les enfans de la reine Sophie-Dorothée lui étaient attachés et dévoués.

Cependant le procès du prince Frédéric et de Katt son complice suivait son cours. Le conseil de guerre s’assembla à Potsdam. Ses douze membres opinèrent dans une forme assez curieuse chez des soldats. Chacun cita un verset de la Bible exprimant sa pensée, soit dix versets demandant du sang et deux parlant de clémence, car ce fut là le partage des voix selon les Mémoires de la margrave de Bayreuth. D’autres ont rapporté l’issue du procès différemment[1]. Quoi qu’il en soit, Frédéric II a raconté lui-même le dénoûment.

Sa captivité commençait à se relâcher. « Je croyais que tout allait finir, quand un matin un vieux officier entra chez moi, avec plusieurs grenadiers, tous fondant en larmes. — Ah ! mon prince, mon cher, mon pauvre prince, disait l’officier en sanglotant ; mon bon prince ! — Je crus certes qu’on allait me couper la tête. — Eh bien ! parlez ; dois-je mourir ? Je suis tout prêt ; que les barbares m’expédient, et vite. — Non, mon cher prince, non, vous ne mourrez pas, mais permettez que ces grenadiers vous conduisent à la fenêtre et vous tiennent là. — Ils me tinrent en effet la tête, pour que je visse ce qui allait se passer. Bon Dieu ! quel spectacle terrible ! mon cher, mon fidèle Katt, qu’on allait exécuter sous ma fenêtre. Je voulus tendre la main à mon ami, on me la repoussa. — Ah ! Katt ! m’écriai-je. Je m’évanouis. » Quand il reprit ses sens, on avait placé le corps sanglant de son ami de façon qu’il ne pût éviter de le voir. La justice de Frédéric-Guillaume était dure.

Il y avait huit mois et demi que la princesse Wilhelmine était

  1. Dans l’Histoire d’Allemagne de David Müller, destinée aux collèges, il est dit que « le conseil de guerre refusa avec fermeté de condamner le prince à mort. » D’autres ouvrages allemands suivent la version que nous donnons. Les Mémoires de Catt laissent dans le doute de quel côté fut la majorité. Frédéric II ayant déchiré, à son avènement, les pages du procès compromettantes pour les membres du conseil de guerre, il est impossible d’arriver à une certitude.