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les tracas de cette affaire, joints à l’ivrognerie, avaient jeté dans l’hypocondrie et de là dans la dévotion outrée. « Le roi nous faisait un sermon toutes les après-midi ; son valet de chambre entonnait un cantique, que nous chantions tous; il fallait écouter ce sermon avec autant d’attention que si c’était celui d’un apôtre. L’envie de rire nous prenait, à mon frère et à moi, et souvent nous éclations. Soudain on nous chargeait de tous les anathèmes de l’église, qu’il fallait essuyer d’un air contrit et pénitent, que nous avions bien de la peine à affecter. »

L’excès de la mélancolie inspira même à Frédéric-Guillaume l’idée d’abdiquer. Il voulait se retirer à sa campagne de Wusterhausen, où l’on dînait en toute saison au milieu de la cour, les pieds dans l’eau quand il pleuvait, et où chaque ménage princier n’avait qu’un galetas pour lui et sa suite, mâle et femelle; on s’arrangeait avec des paravens. Le roi fit part à sa femme et à ses filles de son dessein de les emmener dans cette retraite rustique : « Là, leur dit-il, je prierai Dieu et j’aurai soin de l’économie de la campagne, pendant que ma femme et mes filles auront soin du ménage. Vous êtes adroite (à la princesse Wilhelmine), je vous donnerai l’inspection du linge, que vous coudrez, et de la lessive. Frédérique, qui est avare, sera gardienne de toutes les provisions. Charlotte ira au marché acheter les vivres, et ma femme aura soin de mes petits-enfans et de la cuisine. »

Une autre fois encore, toujours à propos du prince de Galles, le roi impatienté déclara qu’il allait mettre sa fille aînée au couvent. Il écrivit à une abbesse, qui ne fit, comme on peut croire, aucune difficulté et répondit avec empressement. A l’arrivée de sa lettre, Frédéric-Guillaume s’était ravisé et menaçait la princesse Wilhelmine de l’enfermer dans une forteresse si elle obéissait à sa mère et épousait son cousin. La reine lui promettait une haine éternelle si elle ne l’épousait pas, et elle lui disait pour l’encourager : « c’est un prince qui a un bon cœur, mais un fort petit génie; il est plutôt laid que beau, et même il est un peu contrefait. Pourvu que vous ayez la complaisance de souffrir ses débauches, vous le gouvernerez entièrement. » La reine recommençait souvent le même discours, et plus elle le recommençait, moins sa fille trouvait que l’enjeu valût un cachot.

Frédéric-Guillaume avait toujours un gendre en réserve à opposer au prince de Galles. Nous avons parlé du jouvenceau à qui la petite Wilhelmine faisait peur, afin de le rebuter. Il se nommait le margrave de Schwedt et était prince du sang. Le roi l’avait choisi un soir après boire, en 1715, et l’avait conservé en guise d’épouvantail, pour effrayer la reine quand il n’en avait pas d’autre sous la main. Il l’oubliait dès qu’il n’en avait plus besoin. La princesse