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ne lassa, à mesure que Frédéric-Guillaume le rompait. C’était une toile de Pénélope. Le roi défaisait, la reine refaisait.

Frédéric-Guillaume n’était pas toujours contraire à l’alliance de son neveu. Il la désirait par momens autant que sa femme, et alors il renouait lui-même les fils ; mais le grain qu’il avait dans la tête faisait des siennes, et tout était à recommencer. Tantôt, c’était une de ses fureurs folles, pendant lesquelles il prétendait traiter les diplomates étrangers comme de simples généraux prussiens. L’ambassadeur d’Angleterre boudait, son maître était blessé au vif, et il n’était plus question du prince de Galles jusqu’à ce que la reine eût procuré à grand’peine un replâtrage. Tantôt, c’était la tentation irrésistible de quelques géans signalés en Hanovre par les enrôleurs prussiens. Frédéric-Guillaume les faisait enlever, bien qu’il sût George Ier , électeur de Hanovre, encore plus chatouilleux que George Ier, roi de la Grande-Bretagne. L’électeur réclamait ses sujets, le roi refusait de les rendre. — C’était au-dessus de ses forces, — La mésintelligence dégénérait en haine, et la reine était obligée de recourir aux derniers moyens pour adoucir son époux : elle lui donnait quelques autres géans, et le cœur de Frédéric-Guillaume se fondait à leur vue. Tantôt, c’était l’envoyé autrichien, Seckendorf, qui abusait malicieusement des faiblesses du roi pour le brouiller avec l’Angleterre et le lier à l’Autriche. L’audience où il lui présenta le lot de Hongrois énormes destiné à payer le traité de Wusterhausen (1727) fut digne d’une opérette. Le visage de Frédéric-Guillaume brillait d’une joie naïve, qui devint du ravissement à l’annonce que l’empereur avait « donné ordre qu’on cherchât tous les grands hommes de ses états pour les lui offrir. » Ce jour-là, le prince de Galles tomba dans un tel décri qu’il fallut à la reine de longs efforts pour lui ramener son époux.

La princesse Wilhelmine ne sentait que de l’indifférence pour ce fiancé intermittent. Elle ne l’avait jamais vu et ne possédait pas le don de s’enflammer sur une décision royale. Le prince de Galles, moins infecté d’idées modernes, avait ou feignait d’avoir ce don précieux. Dès que le vent tournait à l’Angleterre, il dépêchait vers la princesse, pour lui assurer qu’il était « amoureux fou. » Elle ne faisait qu’en rire. Son cousin était associé dans son esprit à tant de gronderies de sa mère, tant de coups de son père, tant de méchans bruits semés par la coterie Seckendorf, tant d’ennuis de toutes sortes, petits et grands, qu’elle ne pouvait penser à lui sans être excédée. Un jour, c’était la cour d’Angleterre, informée sous main qu’elle était bossue, et envoyant des femmes pour l’examiner. On la déshabillait : « j’étais obligée, dit-elle, de passer en revue devant elles et de leur montrer mon dos, pour leur prouver que je n’étais pas bossue. J’enrageais. » Une autre fois, c’était le roi, que