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Est-ce à dire cependant qu’il faille nier toute influence de l’hérédité sur les prédispositions morales, et faire de chaque être humain une sorte de monade qui ne devrait rien qu’à elle-même? Cet individualisme outré ne s’exposerait pas à recevoir des faits un moindre démenti que le spiritualisme hautain qui refuse toute influence au tempérament et à la conformation physique. On pourrait déjà invoquer à l’encontre cet instinct irréfléchi, mais profond de la nature humaine, qui de prime abord fait honneur ou honte au fils de la conduite du père et qui, jusqu’à preuve contraire, le suppose capable des mêmes choses en bien comme en mal. Il est même curieux de constater, soit dit en passant, que ces nouvelles théories scientifiques pour lesquelles notre démocratie s’est éprise d’un engoûment irréfléchi, et qui reçoivent des pouvoirs publics des marques d’une faveur non équivoque, que ces théories, dis-je, sont en contradiction patente avec le principe même d’une société démocratique. Rien n’est plus aristocratique que la doctrine de l’évolution par la sélection naturelle et l’hérédité. Cette doctrine justifie, en effet, le gouvernement des castes privilégiées au nom de la transmission héréditaire des caractères de supériorité physique ou intellectuelle qui ont légitimé au début le pouvoir exercé par elles. Heureusement, on a trouvé moyen de mettre d’accord la science et la démocratie, en découvrant une loi qui, à en croire M. Ribot, limiterait à quatre ou cinq années la transmission héréditaire, et justifierait ainsi la déchéance des aristocraties. Il est curieux également de remarquer que cette doctrine si en faveur est, au contraire, en harmonie avec la doctrine religieuse, qui explique les contradictions de la nature et les misères de la condition humaine par la faute originelle des premiers ancêtres. Mais où la ressemblance s’arrête, c’est que, dans le jeu des actions humaines, la science, ou du moins une certaine science, assigne à l’hérédité une influence fatale et en fait, pour parler la langue philosophique moderne, un déterminisme, tandis que la religion chrétienne n’y voit qu’une tendance dont l’homme est toujours maître de triompher. A l’envisager dans son ensemble et sans parti-pris, l’être moral, l’homme intérieur, n’est-il pas en effet un composé de penchans physiques, de tendances héréditaires, d’instincts personnels et d’influences subies? La mesure dans laquelle ces différens élémens se combinent constitue la personnalité, et cette personnalité est régie par une volonté libre dont chacun sent en soi le pouvoir. Mais du mystère de cette personnalité, l’analyse scientifique n’est pas plus en état de rendre compte que le délicat instrument appelé sismographe, qui enregistre avec une égale précision les secousses de la terre ou les battemens du cœur, n’est en état d’enregistrer les variations de la pensée ou