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et il y voit un des caractères du criminel-né. Mais il avait été devancé dans cette voie, en France du moins. Voici déjà près de trente ans que Prosper Lucas, dans un gros ouvrage peu lu, mais beaucoup cité, sur l’Hérédité naturelle, a accumulé tous les faits qu’on peut invoquer à l’appui de la transmission par les parens aux enfans de certaines particularités physiques ou morales. Dans cette nomenclature, il a relevé quelques cas d’hérédité criminelle. La thèse de Prosper Lucas a été reprise avec beaucoup de développement par M. Ribot, le brillant titulaire de la nouvelle chaire dite de psychologie expérimentale. Dans son livre sur l’Hérédité, M. Ribot n’a consacré cependant à la question de l’hérédité criminelle qu’un chapitre, ou plutôt un paragraphe de son livre, paragraphe très court, et, je lui demande la permission de le lui dire respectueusement, à mon humble avis très peu concluant : « Si l’on passe, dit M. Ribot, des penchans qui sont purement physiques, au moins dans leur origine, à des passions d’un ordre plus complexe et qui sont, ou plutôt qui semblent indépendantes de l’organisme, comme le jeu. L’avarice, le vol, l’homicide, nous les trouverons également soumises à la loi de l’hérédité. » Voilà la thèse. Voyons maintenant quelles sont les preuves qu’apporte M. Ribot à l’appui de cette affirmation péremptoire. Laissons de côté le jeu et l’avarice, qui ne rentrent point dans notre sujet, bien qu’en ce qui concerne l’avarice, le proverbe : « A père avare fils prodigue, » ne semble pas donner tout à fait raison à la thèse de M. Ribot. Ce n’est qu’un proverbe, il est vrai, mais il me semble que, si j’avais l’honneur d’être à la fois psychologue et expérimentateur, je ne ferais point tant fi de ces témoignages d’une psychologie expérimentale qui a bien sa valeur, puisqu’elle est celle de tout le monde. Moins dédaigneux, Lombroso a eu soin de recueillir dans son livre tous les adages populaires qui viennent à l’appui de ses observations sur les caractères du criminel-né. Mais ne parlons que du volet de l’homicide. La disposition au vol est-elle soumise à la loi de l’hérédité? Sans doute, un grand nombre de fils de voleurs sont voleurs eux-mêmes. Cela n’est pas contestable, et j’indiquerai moi-même à M. Ribot cet argument que, d’après le dernier volume de la statistique pénitentiaire, sur 8,227 enfans mineurs de seize ans détenus dans les colonies correctionnelles, 2,573 descendaient de parens ayant subi des condamnations. Mais quelle conclusion convient-il de tirer de ce chiffre? Sur ces enfans criminels, nés de parens criminels, quelle a été la part de l’influence, des exemples, peut-être même des leçons directes, en un mot du milieu et de l’éducation? Il n’est pas très extraordinaire que des fils de voleurs soient voleurs lorsque leurs parens les ont de bonne heure dressés au larcin. Le contraire même serait surprenant. Pour