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ont fait école dans le monde des criminalistes, il sera curieux de savoir dans quelle mesure ses observations seront confirmées ou contredites par celles de M. Bertillon. Pour cela, il faudrait cependant, et ce serait assurément facile, joindre aux indications relevées par M. Bertillon quelques-unes de celles auxquelles Lombroso attache le plus d’importance, entre autres le poids, l’écartement des oreilles, enfin l’existence de la fameuse fossette occipitale. Mais il est déjà intéressant de constater qu’aucune corrélation constante ne paraît exister entre les mesures relevées au service anthropométrique et telle ou telle nature de criminalité. Ce qui frappe, au contraire, c’est l’extrême diversité des conformations, et rien n’est venu révéler jusqu’à présent, du moins au point de vue de l’anthropométrie, l’existence d’un type criminel. En revanche, M. Bertillon a remarqué chez les individus arrêtés l’existence de taies sur les yeux et de marques de scrofules en beaucoup plus grande quantité que chez les hommes ordinaires. Dirons-nous à cause de cela que les taies ou la scrofule disposent à la criminalité ? Non. Nous dirons tout simplement qu’une foule de pauvres diables, moins bien outillés pour le travail à cause de leurs infirmités ou de leur faiblesse constitutionnelle, tombent dans la misère, et par la misère sont conduits au vol ou à d’autres délits, explication qui, sans avoir rien de scientifique, vaut peut-être celles de l’anthropologie criminelle.

Est-ce à dire cependant qu’il faille nier toute influence de la conformation physique sur les prédispositions morales, du tempérament sur la volonté, et, pour employer les vieilles expressions métaphysiques que l’école scientifique aura bien de la peine à détruire, du corps sur l’âme ? Il y aurait assurément quelque superbe à le prétendre. Si je ne craignais de m’élever à des considérations qui dépassent l’humble portée de ce travail, je dirais que l’erreur de l’antique école spiritualiste, si fortement battue en brèche aujourd’hui, est d’avoir peut-être un peu trop méconnu la complexité de l’être humain, et l’association étroite des deux principes différens, à la fois inséparables l’un de l’autre et irréductibles l’un à l’autre, dont l’union constitue le mystère même de la vie. Lorsque M. de Bonald définissait l’homme : une intelligence servie par des organes, assurément il réduisait trop le rôle de l’organe et méconnaissait l’intime connexité qui existe entre l’organisme intellectuel et l’organisme physique. À professer un spiritualisme aussi hautain, on s’expose à se voir infliger par les faits des démentis dont il faut tenir compte. Mais lorsqu’on représente l’intelligence comme une fonction et une propriété de l’organe, n’est-ce point pour le coup l’intelligence dont on réduit trop le rôle ? La brutale formule de Cabanis, qui est au fond de toutes ces théories soi-disant nouvelles, « la