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frappé d’un fait qui semblerait devoir donner naissance aux conclusions les plus optimistes : un abaissement sensible du nombre des crimes, c’est-à-dire, suivant la définition tout à fait empirique du code pénal, des infractions qui sont déférées au jury. De 1826 à 1830, le nombre moyen annuel des crimes a été de 5,376. De 1876 à 1880, ce nombre moyen est descendu à 3,446, diminution sensible et qui paraît s’être encore accentuée, le nombre des crimes étant descendu en 1884 (dernière année judiciaire dont les résultats aient été publiés) à 3,276. Rien, au premier abord, ne paraîtrait plus légitime que de conclure de ces chiffres à un abaissement de la grande criminalité. Mais c’est ici que nous allons commencer d’apprendre à nous méfier de la statistique. En effet, cette diminution de la grande criminalité n’est qu’apparente, et voici pourquoi.

Les infractions déférées au jury peuvent se diviser en quatre grandes catégories : crimes contre l’ordre public, dans lesquels sont compris les procès de presse ; crimes contre les personnes ; crimes contre les propriétés; crimes contre les mœurs. De ces quatre catégories, les trois premières ont diminué, la dernière seule a augmenté. Comment expliquer cette diminution et cette augmentation? Laissons de côté les crimes contre l’ordre public. Ces crimes, qui comprenaient autrefois les procès de presse, sont aujourd’hui, on peut le dire, effacés de nos lois, sauf des cas très rares, par l’absence de toutes poursuites. De là une première cause de diminution dans les chiffres généraux de la criminalité. Quant aux crimes contre les personnes ou contre les propriétés, les causes de la diminution sont tout autres et tiennent à certaines pratiques judiciaires qu’il est nécessaire d’expliquer. Parmi les infractions que la loi défère à la cour d’assises, il en est dont la nature nettement déterminée ne souffre aucune hésitation et qui ne sauraient tomber sous le coup d’aucune autre juridiction : ainsi l’assassinat, l’incendie, le faux en écriture publique, etc. Il en est d’autres, au contraire, qui ne sont justiciables de la cour d’assises que si certaines circonstances aggravantes transforment la nature de l’infraction. Ainsi le vol, par exemple, est en principe justiciable de la police correctionnelle et ne constitue qu’un délit. Mais certaines qualifications aggravantes, telles que l’escalade, l’effraction, le vol par le salarié, en font un crime et rendent l’inculpé justiciable de la cour d’assises. Ainsi les coups et blessures ne constituent également qu’un délit, à moins que ces coups et blessures n’aient été portés contre un ascendant ou n’aient occasionné la mort. Alors le délit devient crime et ressortit à la cour d’assises. Depuis une trentaine d’années, l’habitude s’est introduite, parmi les magistrats instructeurs, de ne pas relever, dans un certain nombre