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vous porte et que je vous garderai toujours. » Le maréchal Valée répondit en donnant au roi et au ministre son acceptation virtuelle ; mais il voulait, avant de quitter l’Algérie, régler invariablement avec Abd-el-Kader la difficulté toujours pendante des limites.


V.

Pour ranger et tenir sous sa domination le peuple arabe, il ne suffisait pas que l’émir Abd-el-Kader n’eût à redouter aucune rivalité politique, il fallait qu’aucune influence religieuse ne parût supérieure ni même égale à la sienne. De la mer aux extrêmes confins du Tell, il était obéi, respecté, vénéré comme le chef des croyans ; mais plus loin, dans le Sahara, dans le pays des dattes, il y avait un marabout d’un grand renom, issu d’une longue lignée de saints, qui refusait de lui faire obédience. Souvent menacés par les beys d’Oran, les Tedjini, enfermés dans leur ksar d’Aïn-Madhi, s’étaient toujours maintenus indépendans et libres ; Mohammed-el-Tedjini, leur descendant, n’entendait pas déchoir sous la suprématie d’un maître. C’était cet insoumis que l’émir avait résolu de dompter pour l’exemple. « Dieu, disait-il plus tard dans une sorte de manifeste, nous ayant donné mission de veiller sur les intérêts des musulmans, de prendre la direction de tous les peuples soumis à la loi de notre seigneur Mohammed, nous sommes allé dans le Sahara, non pour nuire aux croyans, mais pour consolider leur foi, les réunir dans un intérêt commun et pour rétablir l’ordre. Tous ont écouté notre voix, tous nous ont obéi et nous ont accepté pour chef. El-Tedjini seul s’y est refusé. Nous nous sommes trouvé en face de ceux qui lui obéissaient ; ils étaient prêts à nous combattre, et nous avons désespéré de leur conversion. »

Cependant, quand il était parti de Takdemt pour Aïn-Madhi, le 12 juin 1838, aussi confiant que le maréchal Clauzel partant pour Constantine, il s’était flatté du même espoir, bercé de la même illusion ; à sa vue, les armes devaient tomber des mains des rebelles, et les portes du ksar s’ouvrir toutes seules devant lui. Aussi n’était-ce point une armée qu’il emmenait, c’était une grande escorte, quatre cents de ses cavaliers rouges, dix-huit cents askers et vingt-quatre topjis pour servir deux obusiers de montagne. Il ne songea même pas à retenir les goums qui venaient le saluer au passage et qui, la fantasia courue devant lui, retournaient comme d’une simple fête à leurs douars. En six jours, il arriva de Takdemt au ksar de Tedjini. Rien n’annonçait la soumission; Tedjini n’avait pas cherché la guerre, mais il était décidé à se défendre. A la sommation de l’émir, voici ce qu’il répondit : «Chérif et marabout, j’étais