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d’Afrique. A peine eut-il repris le chemin de Constantine que Djémila devint aussitôt le rendez-vous de toute la Kabylie.

C’était un poste absolument ouvert; bien à la hâte, le commandant Chadeysson se retrancha derrière un parapet de pierres empruntées aux ruines; dans ce misérable réduit, dominé de toutes parts, il se défendit pendant cinq jours et quatre nuits contre des milliers de Kabyles, avec six cent soixante-dix hommes, pourvus chacun d’une quarantaine de cartouches ; mais ce n’était pas le Kabyle qui était le grand ennemi, c’était la soif. Il n’y avait pas d’eau dans le réduit; l’eau coulait à cinquante pas, au fond d’un ravin; on l’entendait bruire sur les cailloux ; mais au-dessus, dans la broussaille, on apercevait une rangée de longs fusils : c’était le supplice de Tantale. Le quatrième jour, l’ennemi, décimé par le feu lent, mais sûr, des assiégés, offrit de se retirer si on voulait lui promettre l’exemption de l’achour, de la zekat et de l’hokor; le commandant répondit que, pour traiter, il n’avait ni pouvoir ni vouloir. Cependant la nouvelle de cette attaque avait fini par arriver à Constantine ; à l’approche du 26e de ligne, accouru le plus vite possible, les Kabyles se retirèrent ; c’était le 22 décembre, l’investissement avait commencé le 18. L’aspect du réduit était curieux : au-dessus du niveau déterminé par le parapet, toutes les tentes étaient criblées de balles ; au-dessous, la toile était à peu près intacte. Les zéphyrs avaient eu quatre tués et quarante-six blessés; ils rentrèrent avec le 26 à Constantine.

Cette défense d’un poste ouvert est un des beaux faits d’armes de la guerre d’Afrique, supérieur à la fameuse défense de Mazagran. Il n’y a qu’heur et malheur; Mazagran était près de la mer, en face de Marseille, sous l’œil d’une presse éveillée, prompte à la réclame; derrière la masse énorme des montagnes kabyles, qui donc, parmi les journalistes, connaissait Djémila? Plus tard, un grand conteur, Alexandre Dumas, y prit intérêt; mais plus tard, c’était trop tard. La popularité de l’écrivain ne réussit pas à populariser, à l’égal des zéphyrs de février 1840, les zéphyrs de décembre 1838 ; c’est dommage.

L’affaire de Djémila ne plut pas au gouverneur, dont elle contrariait le système pacifique, et déplut tout à fait au ministre de la guerre, qui n’était plus aussi bien disposé pour le gouverneur. Il lui écrivit, à ce sujet, une longue dépêche, pleine de reproches à peine déguisés : « Nos soldats, disait-il, ont été sur le point de manquer de munitions; privés d’eau, ils se sont vus réduits aux nécessités les plus cruelles ; cernés pendant cinq jours dans des ruines qui ne leur offraient d’abri ni contre la plaie ni contre l’ennemi, ils ont donné d’éclatantes preuves de courage et de fermeté. Il reste à