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Cette petite affaire, qui n’aurait pas eu d’importance si elle n’avait pas décelé les mauvaises dispositions d’Abd-el-Kader, était le prélude d’une difficulté bien autrement sérieuse. Quelles étaient, autour de la province d’Alger, les vraies limites du territoire abandonné à l’émir? Certains méchans esprits prétendent que l’art des diplomates consiste à laisser, dans un coin des actes rédigés avec la plus scrupuleuse exactitude, un mot qui puisse prêter aux interprétations les plus divergentes, et qu’il n’y a pas de transaction internationale qui ne soit, comme Achille, vulnérable en quelque endroit. Ils ont tort sans doute, mais si jamais texte diplomatique a pu donner une apparence de justification à leur thèse, c’est assurément le traité de la Tafna. Il y était dit, en ce qui concerne la province d’Alger: « La France se réserve : Alger, le Sahel, la plaine de la Métidja bornée à l’est jusqu’à l’Oued-Khadra et au-delà; au sud, par la première crête de la première chaîne du petit Atlas jusqu’à la Chiffa, en y comprenant Blida et son territoire. » Alger et le Sahel à part, tout dans cette formule était prétexte à contestation. Prenons d’abord la limite méridionale ; elle était si heureusement choisie qu’elle coupait les outhanes de Khachna, de Beni-Mouça et de Beni-Khélil, de sorte que, dans chacun d’eux, la population indigène, placée entre les injonctions du caïd investi par l’autorité française et les menaces du caïd d’Abd-el-Kader, ne savait plus auquel entendre ; mais ce n’était pas sur ce point-là que l’orage amoncelait ses nuées les plus chargées de foudre ; c’était sur les rives de l’Oued-Khadra. Que voulaient dire ces trois mots : et au-delà, si vagues, si peu intelligibles? D’après l’interprétation d’Alger, ils signifiaient évidemment que, de ce côté, la puissance française entendait réserver indéfiniment son droit d’expansion; mais alors, répliquait l’émir, pourquoi les Français ont-ils accepté l’Oued-Khadra comme limite? Qu’est-ce qu’une limite, sinon une ligne de séparation entre deux héritages ? Au-delà de l’Oued-Khadra, ils n’ont donc rien à prétendre. Et joignant l’argument de fait à l’argument de droit, il était entré, aux derniers jours de l’année 1837, sur le territoire contesté.

Il y avait, au bord de l’Oued-Zeïtoun, affluent du haut Isser, une population de Coulouglis qui, sans s’être expressément soumise à l’autorité française, avait néanmoins reçu d’elle un caïd. Ce fut contre ces représentans d’une race détestée des Arabes que l’émir résolut de frapper son premier coup dans ces parages. Il réunit tout ce qu’il avait alors de troupes régulières, trois mille uskers fantassins, quatre cents khiélas cavaliers, soixante topjjis artilleurs, avec six bouches à feu ; il y joignit mille cavaliers du maghzen de l’ouest et dix mille irréguliers des goums ; puis, dans ce grand appareil,