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pensées, sur toutes ses résolutions, sur le parlement comme sur le ministère, l’un et l’autre frappés d’une sorte d’impuissance. On ne peut pas en venir à bout, on ne peut pas même arriver à avoir une politique.

Les crises successives par lesquelles le cabinet de lord Salisbury est déjà passé, sans compter celles qui pourront venir encore, sont assurément la preuve la plus évidente des difficultés intimes de cette situation que les circonstances ont créée à l’Angleterre. Depuis qu’il s’est formé, au lendemain des élections qui ont renversé M. Gladstone, le ministère conservateur en est déjà à sa troisième ou quatrième métamorphose. Lord Randolph Churchill a le premier donné le signal de la dislocation en jetant cavalièrement sa démission de chancelier de l’échiquier à la tête du chef du gouvernement, et son successeur, M. Goschen, qui avait échoué aux élections, a eu une peine extrême à reconquérir un siège parlementaire, sans lequel il ne pouvait rester au pouvoir. Après ce premier changement, un autre membre moins connu du cabinet a encore donné sa démission. Aujourd’hui, c’est un des ministres les plus importans, le secrétaire pour l’Irlande, sir Michael Hicks Beach, qui se retire à son tour et qui est remplacé par un neveu de lord Salisbury, homme de talent, dit-on, M. Balfour. Sir Michael Hicks Beach paraît se retirer, il est vrai, sous le coup d’une infirmité qui lui rendait tout travail momentanément impossible. La maladie peut être réelle : il y a pourtant, il faut l’avouer, une singulière coïncidence entre cette retraite, dont personne ne parlait la veille, et une discussion récente du parlement où le ministre d’hier se laissait aller à tenir un langage irrité et brutalement menaçant qui soulevait un véritable orage au camp irlandais, même un peu parmi les libéraux les plus modérés. Sir Michael Hicks Beach cède au mal inexorable qui menace de le priver de la vue, c’est possible ; il plie aussi sous le poids d’une administration qui, depuis quelques mois, a vainement employé tous les moyens pour soumettre une population obstinée dans ses revendications ou, si l’on veut, dans sa révolte.

C’est l’Irlande et toujours l’Irlande qui est au fond de tout, qui est l’obstacle à tout, qui fait que le ministère, bien que temporairement assuré d’une majorité par l’alliance des libéraux dissidens, se sent paralysé et à chaque instant menacé dans son existence. Lord Salisbury ne se décourage pas sans doute : il répare les brèches de son ministère à mesure qu’une pierre se détache de l’édifice, et il tient tête au péril. Ces jours derniers encore, à l’inauguration d’un club national conservateur à Londres, il abordait la question avec une résolution virile. Il ne désespérait pas, disait-il, d’arriver au résultat désiré; il a parlé toutefois, on le sent, en homme qui ne se dissimule pas ce qu’il y a de redoutable dans la situation. La vérité est que, depuis quelques mois, tout s’est encore une fois aggravé, tout a repris un aspect plus