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suite et de mesure dans toutes ses affaires, et elle ne le peut qu’en retrouvant un gouvernement, en se créant une politique. C’est là toute la question. Il faut à un pays qui a sa position dans l’univers, qui peut avoir les intérêts les plus sérieux à défendre, il faut un gouvernement et une politique. Tout le monde sent cette nécessité supérieure ; tout le monde convient aussi que le ministère qui existe aujourd’hui n’est pas un gouvernement. Il a pu sans doute traverser une crise momentanée où la plus grande habileté était de s’effacer, de ne rien compromettre par de fausses démarches ou par des témérités de parole. Il a suivi le sentiment public et il n’a commis, si l’on veut, aucune imprudence grave; mais il est bien clair qu’il n’a ni direction, ni consistance, ni autorité, qu’il n’a pas le plus souvent d’opinion ou qu’il flotte entre toutes les opinions pour finir presque toujours par quelque faiblesse, dans l’espoir de retenir ou de rallier une majorité dont il n’est jamais sûr. Il a été jusqu’ici un ministère de circonstance et d’attente ; maintenant qu’il faudra nécessairement agir, se décider entre les partis, les difficultés vont commencer. M. le président du conseil aura certainement de la peine à faire accepter son projet sur les sous-préfets, qu’il n’a présenté peut-être qu’avec une conviction assez tiède, qui ne satisfait ni les partisans absolus de la suppression des sous-préfectures, ai ceux qui reconnaissent l’utilité de ce rouage administratif. M. le ministre des finances aura plus de peine encore à obtenir les crédits dont il a besoin pour son administration, qu’il a laissé supprimer et qu’il est réduit à demander de nouveau par voie extraordinaire. Les occasions d’échecs ne manqueront pas. Ce qui soutient peut-être encore le ministère, c’est qu’on ne sait comment le remplacer. Au fond, c’est un vrai gouvernement, non un ministère d’expédient que la France désire, et, ce qu’elle réclame surtout, c’est une politique sérieuse, éclairée, qui s’inspire des intérêts et des vœux réels du pas s, qui ne se paie pas de mots, qui n’appelle pas du nom de réformes toutes les fantaisies ou tout ce qui peut donner une fausse popularité d’un jour.

Qu’est-ce qu’une réforme pour les républicains qui, depuis dix ans, disposent souverainement des influences et du pouvoir? Rien de plus clair, cela vient d’être expliqué et mis à nu en pleine chambre dans une discussion instructive sur la Corse. On a fait, il y a quelques années, ce qu’on a appelé pompeusement la réforme judiciaire, et le résultat avéré, incontesté aujourd’hui, c’est que la réforme n’a servi qu’a satisfaire des appétits, à peupler la magistrature de toute une clientèle de parti, même quelquefois de procureurs de la république qu’il faut-aller chercher au café, comme l’a démontré un récent procès. Et M. le président du conseil lui-même en est quitte pour se laver les mains en disant: « j’ai combattu la loi sur la réforme judiciaire, je ne l’ai pas votée, la chambre l’a votée; vous voyez à quoi elle a