Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 80.djvu/476

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

résolutions des gouvernemens. Or la Russie, autant qu’on en puisse juger, semble avoir pris son parti en mesurant de l’œil le plus ferme l’importance des affaires qui ont récemment occupé ou qui occupent encore le monde. Elle paraît s’être dit que la Bulgarie n’était pour le moment qu’un point secondaire, qu’elle pourrait toujours reprendre en Orient une politique qui ne date pas d’hier, que la question la plus essentielle, la plus grave pour elle-même à l’heure présente, était ce qui se passait ou ce qui pouvait se passer dans l’Occident. Si on lui a demandé de se lier, ne fût-ce que par un engagement de neutralité, elle a probablement refusé de livrer sa liberté d’action. Elle a tenu à rester la spectatrice indépendante et au besoin la régulatrice des événemens. Nul doute que, par ce changement de front, la Russie n’ait eu une influence calmante, qu’elle n’ait contribué à tempérer des impatiences belliqueuses, et, d’un autre côté, on a pu le remarquer, l’Autriche elle-même, un peu délivrée du danger d’une intervention russe dans les Balkans, faisait tout récemment encore des déclarations plus pacifiques que celles qu’elle faisait il y a quelques mois. A y regarder de près tout cela se tient. Telle est donc la situation de l’Europe au lendemain de ces incidens qui ont si étrangement remué les esprits, qui ont été une épreuve pour toutes les politiques. La question bulgare, qui est venue se mêler à d’autres complications, ne cesse pas d’avoir quelque importance, elle est remise à son rang; la Russie en a pour ainsi dire émoussé les dangers en la subordonnant à la question plus grave de l’ordre européen, de l’équilibre des forces dans le monde. C’est là le résultat, et si dans toutes les évolutions, dans toutes les combinaisons du temps, M. de Bismarck a su quelquefois jouer à son profit le rôle de médiateur entre l’Autriche et la Russie, c’est la Russie aujourd’hui qui a su habilement prendre la position d’arbitre de la paix de l’Occident. Cette situation a ses avantages assurément; elle est une garantie pour la paix du moment. Elle est en même temps assez délicate et assez complexe pour dépendre de bien des accidens imprévus, pour imposer à ceux qui ont à conduire les affaires des peuples autant de mesure dans l’action de tous les jours que de prévoyance attentive dans les conseils.

Les gages les plus décisifs qu’un pays puisse donner de la sincérité de ses sentimens pacifiques, la France les a donnés depuis deux mois; elle les a donnés par la prudence de ses actes, par la réserve de son langage, par la correction de ses procédés. Elle a laissé à d’autres, aux plus puissans de l’Europe, le temps et le soin de reconnaître que dans sa modération, qui n’était pas de la faiblesse, elle restait une des garanties vivantes de l’équilibre du monde. L’essentiel maintenant pour elle est de n’avoir pas eu seulement une sagesse de circonstance, de ne pas perdre l’avantage moral de cette expérience dans de vaines agitations de partis, de mettre plus que jamais l’esprit de