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pour moi que j’ai peur, » répond-elle, en protégeant de ses mains son flanc qui tressaille. Alors, il fond en larmes, il supplie à genoux. Il est donc père ! Il aime son petit; il n’a jamais cessé d’aimer sa femme; seulement, — il le disait hier, avec un sourire, — « le Midi est polygame. » Tant pis pour le Midi ! Le Nord est implacable.

Mais non! Rosalie n’est pas le Nord; elle n’est que la fille du Nord! Le voici, le Nord lui-même, sous la figure du président Le Ouesnoy. la glaciale et sévère demeure que la sienne! Je n’aurais jamais cru que la place Royale fût si près du pôle. C’est là que l’épouse trahie s’est réfugiée. Au fond de l’appartement, le président et sa femme, avec de vieux amis, s’appliquent à jouer au whist. Sur le devant, Rosalie écoute avec dignité M. Davin, le plus grave des secrétaires de son mari. Un différend conjugal réglé par ambassade n’est pas un épisode bien réchauffant : ainsi se continue cette impression de froid que l’auteur, dès le commencement de l’acte, a voulu nous faire sentir. La scène qui suit nous laissera transis de respect : déjà solennelle dans le roman, elle prend ici une extraordinaire importance. Mme Roumestan, malgré Davin, demeure inflexible : « Il faut lui dire... » murmure le président à l’oreille de sa femme; et il s’éloigne, la tête basse. Mme Le Quesnoy, alors, raconte à sa fille comment, elle aussi, en son jeune temps, a été trompée, comment elle a pardonné l’injure. Rosalie suivra cet exemple : elle sera une épouse clémente pour être une bonne mère. En attendant, elle dérobe son front quand le vieux pécheur vient lui souhaiter le bonsoir; elle réplique sèchement : « Bonne nuit, mon père! » Brrr... On demande une flambée!

C’est le soleil du Midi, en personne, qui ragaillardit la fin de la pièce. Il entre comme chez lui dans cette chambre claire. Il guérit la petite belle-sœur, — Dont la mort attristait les dernières pages du roman. — Il couve le berceau du nouveau-né. Il fait bouillir à point la belle humeur de la tante Portai. Si, un moment, les rideaux se ferment, c’est pour cacher l’Enfant prodigue : Té, le voilà ! Sa femme lui saute an cou. Il l’embrasse; et puis il se retourne, il va sur le balcon, il parle à son peuple, à ce même peuple auquel il criait naguère, de la tribune des Arènes : « Oui, mes amis, pour la seconde fois, les Latins ont conquis la Gaule! »

Ils ont conquis du moins, pour plusieurs mois, le Théâtre de Paris et l’Odéon. Et si je ne puis dire qu’ils y établissent un régime tout à fait neuf, c’est que l’entreprise est terriblement difficile, et peut-être chimérique : — L’Ile exige plus que la force de M. Zola et plus que la finesse de M. Daudet!


LOUIS GANDERAX.