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par des procédés analogues, le premier une cathédrale, le second une charcuterie. Mais, chez l’un et chez l’autre, par une mutuelle ironie, la doctrine se moque de l’œuvre, et l’œuvre de la doctrine.

« Oh ! de ce Zola, pas moins ! » murmure peut-être, en son jargon méridional, Numa Roumestan ; « sait-il ameuter les gens et les attarder ! » Rassure-toi, ô Numa, j’accours ; et j’ai le temps encore de te décocher un compliment : « Té ! bel astre… « Il ne prétend pas, cependant, ce drame dont tu es le héros, paraître comme un nouveau soleil ! Un peu plus de soin donné à quelques détails de mise en scène, à l’ordonnance des personnages muets dans une soirée, à l’éclairage d’un appartement pour un tableau de mœurs domestiques, M. Alphonse Daudet ne jure pas que ce soit une révolution. Une comédie de caractère, une comédie presque classique, voilà l’ouvrage : Numa, ou le Hâbleur, ce titre lui conviendrait ; — le Hâbleur, pour faire suite au Glorieux, à l’Irrésolu, à l’Inconstant, à tous ces types des travers humains dont le XVIIIe siècle a formé une galerie. Mais alors on avait le goût de l’abstrait et de l’universel ; on préfère aujourd’hui le concret et le particulier. Numa Roumestan, à vrai dire, n’est donc pas le Hâbleur, qui n’aurait aucune figure spéciale, et qui, pour être de tous les pays, ne serait d’aucun ; il est le Français du Midi, et singulièrement le Provençal.

Déjà, dans le livre, c’est le Provençal qui s’était montré plutôt que l’homme public ; et cela seul aurait distingué ce roman d’un autre, apparu presque en même temps. Monsieur le Ministre : ici et là, même fable à peu près, mais non même héros. M. Alphonse Daudet, après M. Claretie, produit son œuvre sur la scène : la dissemblance devient plus évidente. Si Numa, au théâtre, est encore politique, il l’est à peine ; s’il est ministre, il l’est à la cantonade, et seulement vers la fin de la pièce : la soirée qu’il donne en l’honneur du tambourinaire et de la petite chanteuse, il la donne chez lui, et non plus dans les salons de l’État. Ce n’est pas, décidément. Son Excellence le Grand-Maître de l’Université à qui nous avons affaire : c’est Sa Grâce le Midi, — une grâce oratoire, trompeuse, dupe d’elle-même et pernicieuse à autrui.

Mais le Provençal, au théâtre, est-ce un caractère qui peut se suffire à lui-même et suffire au public ? Va-t-il s’expliquer assez en vivant, et nous divertir assez parce qu’il vit ? Aux sentimens qu’il laissera voir, à ses actions, chacun devra-t-il s’écrier : « Ah ! qu’il est bien du Midi ! » Et chacun, s’il le reconnaît pour tel, y prendra-t-il un plaisir si vif qu’il n’en réclame point d’autre ? Un homme qui ment n’est qu’un menteur : ce n’est pas nécessairement un Provençal. Dans le roman, l’auteur l’accompagne et dénonce perpétuellement sa naissance : à la scène, l’auteur se cache et se tait. Et, même s’il ment à outrance, notre homme, ici, n’est qu’un menteur encore : un personnage de comédie est volontiers outré, de quelque latitude qu’il vienne. Il reste donc, pour que celui-ci soit admis comme Provençal, qu’il décline lui-même