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car, si elle reste indépendante, elle peut devenir hostile, et, par précaution. Napoléon écrase en elle un ennemi probable.

D’autant plus que, dans cette voie, une fois engagé, il ne peut plus s’arrêter; en même temps que son caractère, la situation qu’il s’est faite le pousse en avant, et son passé le précipite dans son avenir[1]. — Au moment où se rompt la paix d’Amiens, il est déjà si fort et si envahissant que ses voisins, pour leur sûreté, sont obligés de faire alliance avec l’Angleterre : cela le conduit à briser les vieilles monarchies encore intactes, à conquérir Naples, à mutiler l’Autriche une première fois, à démembrer et dépecer la Prusse, à mutiler l’Autriche une seconde fois, à fabriquer des royaumes pour ses frères à Naples, en Hollande, en Westphalie. — A la même date, il a fermé aux Anglais tous les ports de son empire : cela le conduit à leur fermer tous les ports du continent, à instituer contre eux le blocus continental, à proclamer contre eux une croisade européenne, à ne pas souffrir des souverains neutres comme le pape, des subalternes tièdes comme son frère Louis, des collaborateurs douteux ou insuffisans comme les Bragances de Portugal et les Bourbons d’Espagne, partant à s’emparer du Portugal et de l’Espagne, des états pontificaux et de la Hollande, puis des villes hanséatiques et du duché d’Oldenbourg, à allonger sur le littoral entier, depuis les bouches de Cattaro et Trieste jusqu’à Hambourg et Dantzig, son cordon de commandans militaires, de préfets et de douaniers, sorte de lacet qu’il serre tous les jours davantage, jusqu’à étrangler chez lui, non-seulement le consommateur, mais encore le producteur et le marchand[2]. — Tout cela, dans les formes autoritaires que l’on connaît, quelquefois par simple décret, sans autre motif allégué que son intérêt, ses convenances et son bon plaisir[3], arbitrairement et brusquement, à travers quels attentats

  1. Correspondance de Napoléon Ier. (Lettre au roi de Wurtemberg, 2 avril 1811) : « La guerre aura lieu malgré lui (l’empereur Alexandre), malgré moi, malgré les intérêts de la France et ceux de la Russie. j’ai déjà vu cela si souvent que c’est mon expérience du passé qui me dévoile cet avenir. »
  2. Mollien, III, 135, 190. — En 1810, « renchérissement de 400 pour 100 sur le sucre, de 100 pour 100 sur le coton et sur les matières tinctoriales. » — « Plus de 20,000 douaniers étaient employés à la frontière contre plus de 100,000 contrebandiers en activité continuelle et favorisés par la population.» — Mémoires inédits par M. X.., III, 284. — Il y avait des licences pour importer des denrées coloniales, mais à condition d’exporter une quantité proportionnée d’objets fabriqués en France; or l’Angleterre refusait de les recevoir. En conséquence, « ne pouvant rapporter ces objets en France, on les jetait à la mer.» — «On commença d’abord par consacrer à ce commerce le rebut des manufactures, puis ou finit par fabriquer des objets qui n’avaient pas d’autre destination, par exemple, à Lyon, des taffetas et des satins. »
  3. Proclamation du 27 décembre 1805 : « La dynastie de Naples a cessé de régner; son existence est incompatible avec le repos de l’Europe et l’honneur de ma couronne. » — Message au sénat du 10 décembre 1810 : « De nouvelles garanties m’étant devenues nécessaires, la réunion des embouchures de l’Escaut, de la Meuse, du Rhin, de l’Ems, du Weser et de l’Elbe à l’empire m’ont paru être les premières et les plus importantes... La réunion du Valais est une conséquence prévue des immenses travaux que je fais faire depuis dix ans dans cette partie des Alpes. »