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hommes de distinction… Oui, nous avons été misérables au point de ne vivre que d’insectes et de serpens, et quelques-uns de ceux qui sont ici ont dû égorger leurs filles pour se nourrir !.. Plongés dans les ténèbres de l’idolâtrie et de la superstition, sans lois, toujours ennemis les uns des autres, nous n’étions occupés qu’à nous combattre et à nous entre-tuer. Voilà, en vérité, ce que nous étions. Mais Allah a conduit parmi nous un homme,.. il est le plus grand par sa naissance, ses vertus et son génie. Allah l’a choisi pour son apôtre et son prophète… Par sa voix, Allah nous a dit : « Je suis le seul Dieu, l’Éternel, créateur de l’univers. Ma bonté vous envoie un guide pour vous diriger. Vous souffrirez les supplices que je réserve aux criminels après leur mort ou vous entrerez dans un séjour de félicité. » Cette persuasion a graduellement pénétré dans nos cœurs : nous avons cru à la mission du prophète et avons reconnu que ses paroles étaient les paroles d’Allah, que ses commandemens étaient ceux d’Allah, et que la religion qu’il nous enseignait, l’Islam, était la seule vraie religion. Il a éclairé nos enfans, il a éteint nos haines et nous a réunis en une société de frères sous des lois dictées par une sagesse divine. Puis il a ajouté : « Complétez mon œuvre. Répandez partout la domination de l’Islam. La terre appartient à Allah : il vous la donne. Les nations qui partageront votre foi seront assimilées à la vôtre ; elles jouiront des mêmes avantages et seront sujettes aux mêmes lois. Mais celles qui refuseront de l’accepter ou de payer tribut, vous les combattrez jusqu’à ce qu’elles soient exterminées. Plusieurs d’entre vous périront dans la lutte, mais ils gagneront le paradis. Les survivans jouiront des honneurs de la victoire… Voilà vers quel pouvoir et quelle gloire nous marchons avec confiance. À présent que vous nous connaissez, faites vos choix entre notre foi, le tribut ou une guerre d’extermination. »

Le roi des Perses, pour toute réponse, fit remarquer à l’orateur de la députation, Hamar-Mokarin, que s’il ne lui faisait pas trancher la tête, c’était par égard à sa qualité d’ambassadeur. Puis, ordonnant qu’on apportât un sac plein de terre, il le fit placer sur les épaules du chef arabe en disant : « c’est tout ce que je puis te donner de mon royaume. Va-t’en ! »

Makarin ne se débarrassa pas de l’étrange présent qui lui était fait ; et loin d’en paraître humilié, il quitta le camp avec les apparences d’une grande joie. Inquiet de cette gaîté insolite, le roi envoya de la cavalerie à la poursuite de l’ambassade. On ne put la rejoindre. Arrivé au milieu des siens, Makarin jeta son sac de terre aux pieds du calife Omar en lui disant : « La terre des Perses est à toi : on te la donne ! »