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renverser tout ce qu’on a écrit pour prouver le pyrrhonisme prétendu de son auteur, et son mépris prétendu pour toute intelligence, tirons-en cette conséquence évidente que, si Pascal rapporte au cœur la connaissance des principes en général, c’est que les premiers principes, desquels tout dépend, lui paraissent résider dans ce qui est le fond et la substance de ce qu’on nomme le cœur, dans cette énergie primordiale qui est la volonté.

Descartes, en étudiant ces deux parties de l’esprit qui sont l’intelligence et la volonté, avait dit, comme on l’a vu, que l’intelligence, si active qu’elle fût, absolument parlant, était pourtant, en comparaison de la volonté, passive, et la volonté essentiellement active. La source première des vérités, sans en excepter les plus hautes, se trouvait d’ailleurs, suivant lui, dans la volonté divine. C’était attribuer à la volonté la supériorité sur l’intelligence, et c’est ce qu’avait fait avant Descartes, en s’inspirant, ce semble, du christianisme, le philosophe et théologien Duns Scot, membre de cet ordre de Saint-François qu’on vit au XIIIe siècle reprendre, avec plus d’enthousiasme qu’aucun autre ordre, la tradition de Celui qui avait dit : « Je suis venu mettre le feu en cette terre, et je veux qu’il s’allume. »

Pascal ajoute à la doctrine cartésienne un trait considérable, lorsque, non content de subordonner l’entendement à la volonté, il rapporte au cœur la connaissance même des premiers principes.

Différent de l’esprit, le cœur a, avec ses objets propres, une science à lui, une méthode qui lui est particulière :

« Le cœur a son ordre ; l’esprit a le sien, qui est par principes et démonstrations : le cœur en a un autre. On ne prouve pas qu’on doit être aimé en exposant d’ordre les causes de l’amour : cela serait ridicule. Jésus-Christ, saint Paul ont l’ordre de la charité, non pas de l’esprit ; car ils voulaient échauffer, non instruire. Saint Augustin de même. Cet ordre consiste principalement à la digression sur chaque point qui a rapport à la fin. »

L’ordre du cœur consiste donc, pour Pascal, non comme celui qu’on suit dans les sciences, à partir de principes abstraits qu’on résout par définitions en leurs élémens intégrans, mais au contraire, puisqu’il s’agit d’action et de vouloir, à partir de la fin, cause déterminante de l’affection et du mouvement. quant à ce que dit Pascal de ces « digressions sur chaque point qui a rapport à la fin, «peut-être, puisque cet ordre est, suivant lui, celui qu’emploie l’Évangile, peut-être faut-il l’entendre en ce sens qu’à son avis, si, dans les sciences mathématiques et physiques, on procède par une série en quelque sorte unilinéaire de déductions, dans la morale, et l’on pourrait dire aussi dans l’art, il s’agit plutôt, sans s’assujettir à cette marche,