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un élément négatif d’infinie variation. C’est ce qu’il voulait représenter par une médaille où l’on aurait vu un soleil rayonnant sur des nuées, avec cet exergue : Sufficit unum.

En plus d’un endroit, Pascal a esquissé cette idée, déjà indiquée jadis par Platon, que partout dans l’univers l’inférieur est une image du supérieur. « La nature est une figure de la grâce ; la grâce elle-même est une figure de la gloire. » L’art était donc, selon Pascal, imitation, mais imitation d’un modèle, au fond, surnaturel. Pour ce qui concernait la morale, ce dut être également sa pensée. La vraie morale n’était pas une déduction de maximes abstraites ; c’était la conformité à un modèle souverainement réel, souverainement vivant, et ce modèle était Dieu. Telle était la règle faute de laquelle la morale de l’esprit se perdait en des erreurs dont se moquait la morale du jugement. Platon avait dit : Ressemblez à Dieu ; l’Évangile : Soyez parfait, comme votre Père est parfait.

Le modèle où se trouve la règle qu’applique le jugement, ce modèle si réel, tout autre qu’un nombre ou qu’une idée, quelle en est maintenant, selon Pascal, la nature? C’est ce qu’indique un autre nom encore qu’il substitue plus d’une fois, en l’associant à celui d’instinct, au nom d’esprit de finesse et de souplesse, à savoir le nom de « cœur. »

« Nous connaissons la vérité, non-seulement par la raison, mais encore par le cœur; c’est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes, et c’est en vain que le raisonnement, qui n’y a point de part, essaie de les combattre. Les Pyrrhoniens... y travaillent inutilement... Et c’est sur ces connaissances du cœur et de l’instinct qu’il faut que la raison s’appuie, et qu’elle y fonde tout son discours. Le cœur sent qu’il y a trois dimensions dans l’espace et que les nombres sont infinis, et la raison démontre ensuite qu’il n’y a point deux nombres carrés dont l’un soit double de l’autre. Les principes se sentent, les propositions se concluent, et le tout avec certitude, quoique par différentes voies. Et il est aussi inutile et aussi ridicule que la raison demande au cœur des preuves de ses premiers principes pour vouloir y consentir, qu’il serait ridicule que le cœur demandât à la raison un sentiment de toutes les propositions qu’elle démontre pour vouloir les recevoir. Cette impuissance ne doit donc servir qu’à humilier la raison, qui voudrait juger de tout, mais non pas à combattre notre certitude, comme si il n’y avait que la raison capable de nous instruire. Plût à Dieu que nous n’en eussions au contraire jamais besoin, et que nous connussions toutes choses par instinct et par sentiment. Mais la nature nous a refusé ce bien... »

Sans nous arrêter à faire remarquer que ce passage suffirait à