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les autres, et faire exactement dans les conséquences la part de chacun. Il ne s’agit plus ici de principes qu’on puisse appeler, dit Pascal, gros ou grossiers, et de déductions rigides; il faut, au lieu de l’esprit géométrique, un esprit de finesse.

A plus forte raison faut-il un esprit de cette sorte lorsqu’il s’agit non plus, comme dans la physique, de qualités sensibles, mais, comme dans le monde social, de qualités morales, c’est-à-dire quand on a affaire à des réalités plus dégagées de la grossière matérialité, ces qualités n’étant autres que celles des esprits. C’est ce que Pascal apprit à pénétrer dans le commerce de ces hommes de culture raffinée, tels que le chevalier de Méré et son ami Miton,. qui l’initièrent, alors qu’il était encore plongé dans les sciences mathématiques et physiques, à la variété mouvante des affaires, des divertissemens et des conversations du monde, et jusqu’à ces jeux où tout dépend de chances qu’on ne calcule plus par certitudes inflexibles, mais par probabilités, et qui, pour avoir encore leurs règles, que Méré amenait Pascal à rechercher et à découvrir, n’en sont pas moins bien plus difficiles à discerner et à prévoir.

Dans le monde, où il faut l’apparence au moins de la sympathie, il convient d’effacer devant les autres sa propre individualité. C’est en quoi Miton était particulièrement consommé. Et c’est en quoi on excellait à la cour, où subsistait dans les manières, sinon toujours dans les sentimens et les actions, la tradition de cet antique désintéressement qui avait été ou dû être la noblesse même. La vie du monde, et du plus grand monde, était ainsi comme une préparation à l’amour. Dans l’amour, du moins dans cet amour, le vrai aux yeux de Pascal, qui est, selon son expression, « un attachement de pensée, » c’est, plus que partout ailleurs, d’un esprit de finesse et de délicatesse qu’il est besoin. Et cet esprit, Pascal est amené à lui attribuer encore, à propos de l’amour, la souplesse. L’objet de l’amour est, en effet, la beauté, bien supérieure à tous autres objets, et qui, pour se montrer en des corps, n’en est pas moins, disait un grand peintre contemporain de Pascal, d’essence incorporelle. Cicéron avait dit déjà : « Les contours de l’âme sont plus beaux que ceux du corps. » Et Cicéron était là comme ailleurs l’interprète des Grecs.

Si dans le monde moral en général les choses ne sont pas grossièrement séparées comme dans le physique, mais se tiennent de tout près et même se pénètrent (point d’idée, disait Plotin, en laquelle ne se voient toutes les idées), si chaque détail y est comme imprégné de la totalité, c’est surtout dans les beaux objets, où il n’est point de partie qui ne conspire au reste, que tout vaut par l’accord et la conformité. Là principalement, pour entendre le tout, il faut aller et venir sans arrêt d’une extrémité à l’autre, et surtout