naguère elle s’exerça, lui a procuré cette sûreté de vue, cette profondeur d’analyse, cette force de raisonnement, cette indépendance et cette largeur d’opinion qui sont très rarement le partage des femmes. Peut-être fallait-il avoir écrit les remarquables Essais sur la renaissance, qui ont été réunis sous le nom du divin enfant ailé sorti des noces de Faust et d’Hélène, Euphiorion[1], peut-être fallait-il avoir médité ensuite les dialogues d’une investigation si pénétrante et si subtile sur les aspirations et les idées de notre temps qui font de Baldwin[2] comme une clé nécessaire à certaines parties de Miss Brown, pour pouvoir aborder le roman avec ce mélange singulier de qualités de premier ordre et de défauts presque aussi attachans que les qualités mêmes. Un beau sujet d’essai que nous intitulerions volontiers : « De la révolte esthétique et de la révolte utilitaire contre les conventions de la vie, » se mêle ingénieusement à une étude psychologique très nouvelle qui émeut comme ferait le plus poignant des drames avec le secours de fort peu d’événemens extérieurs. Mais peinture de mœurs, drame et psychologie, tout cela est si curieusement anglais, que l’on ne saurait en avoir l’intelligence sans s’aider de renseignemens et de commentaires.
Grâce à M. Paul Bourget et à M. Gabriel Sarrazin, les lecteurs français ont appris déjà au juste ce que c’est que l’esthéticisme ou plutôt ce qu’il fut, car, sous la forme si durement flagellée par Vernon Lee, il tend à s’effacer tous les jours, quitte à renaître, en passant par de nouveaux avatars. Et, cependant, le nom d’esthète n’évoque encore pour bien des gens que la figure de quelque beauté ou de quelque caricature, selon le cas, prétentieusement vêtue d’étoffes fanées et traînantes, style moyen âge, une fleur d’œillet, de lis ou de tournesol attachée près de l’épaule, telle qu’on en rencontrait naguère à Londres dans les environs du musée de South-Kensington. L’esthéticisme de l’art apparaît, sans doute, à un petit groupe, à travers les compositions assez mal connues de son principal apôtre le peintre-poète Rossetti ; on se rappelle quelques belles strophes de la Maison de vie ou de la Demoiselle bénie, quelques visions d’idéal mystique fixées par le crayon ou le pinceau sous les traits de femmes pâles et vaporeuses, reines d’amour platonique qui font penser à la Béatrix du Dante et aux anges de Fra Angelico ; malheureusement, on se rappelle aussi les imitations en poésie et en peinture de tant d’artistes ou même d’amateurs qui se vouent tantôt à représenter des créatures décharnées, aux joues