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de la concurrence écrasante qui attend les manœuvres, les ouvriers peu habiles, tous ceux qui n’ont que leurs bras et qui arrivent sans un talent spécial ou des capitaux sur le littoral africain; encore une fois, les Français, plus intelligens, mais bien moins nombreux et moins résistans que les autres émigrans et que les indigènes, n’ont des chances de succès en Tunisie que s’ils viennent pour diriger ou exploiter, mais alors ils en ont beaucoup : il faut leur ouvrir l’accès du pays dans tous les sens, leur assurer des relations faciles avec les propriétaires ou les ouvriers indigènes et les étrangers, donner l’impulsion à leur commerce, activer les échanges entre Marseille et Tunis, Sousse, Sfax, Gabès, faire que le premier de ces ports soit le principal débouché des autres, habituer les Tunisiens à se servir de nos produits et à produire eux-mêmes ou à fabriquer suivant nos goûts.

Pour amener la Tunisie à cet état d’intimité confiante et si féconde avec la France, il faut, on le voit, bien des ménagemens et des années de patience. Toutes les difficultés du protectorat se résument en une seule : résister aux impatiens sans retourner à la routine, ne pas se laisser pousser trop vite en avant ni ramener en arrière, craindre à la fois d’innover à la légère et d’imiter ma! à propos. C’est grâce à cette résistance sage, et aussi courageuse, puisqu’elle a provoqué tant de colères, qu’en moins de quatre années nous avons vu se constituer un gouvernement, un gouvernement qui ne ressemble pas à tous les autres, il est vrai, et dont le mécanisme étonne par son ingénieuse simplicité ; mais plus il est nouveau, plus il est naturel qu’on l’ait critiqué. Comme la plupart des inventions modernes, le protectorat a l’indiscutable avantage de diminuer considérablement la main-d’œuvre, les frais de production, au détriment de quelques-uns, au bénéfice du plus grand nombre. Ceux qui en profitent ne disent rien, généralement ; l’état seul s’en félicite, mais sans trouver d’écho dans le public ; ceux qui s’en plaignent, au contraire, crient et réclament; si on les écoute, il faut s’arrêter, revenir sur ses pas, appeler cent individus à faire en désordre la besogne dont un seul s’acquitte à merveille. Un mécanicien et un chauffeur conduisent à eux seuls tout un train, l’équivalent de plus de cinquante diligences; mais qu’adviendrait-il, si au mécanicien, sous prétexte de satisfaire tout le monde, on adjoignait les cinquante cochers qu’il remplace et ceux des voyageurs qui sont las de l’inaction? un déraillement. De même le résident et son très faible état-major administrent en réalité à eux seuls la Tunisie, parce qu’ils tiennent l’administration indigène comme un instrument entre leurs mains; — il importe donc qu’ils soient habiles, expérimentés, non qu’ils soient nombreux. — Nous ne saurions trop insister sur ce point capital,