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qui eût été infiniment plus coûteuse, exigeante et inexpérimentée que celle qu’ils ont pu utiliser; aux Tunisiens, en leur permettant d’accepter notre joug sans alarmer leur conscience ; le bey fournit à la casuistique musulmane le moyen de servir les chrétiens sans offenser Mahomet : il endosse toutes les responsabilités, apaise les mécontentemens, lève les scrupules, car c’est à lui qu’on obéit, c’est lui qui donne l’exemple à son peuple en marchant d’accord avec nous, lui, et autour de lui les princes, les dignitaires, et loin de lui, dans les provinces, les fonctionnaires, leurs employés. Peut-on calculer combien cette simple fiction nous aura épargné de sang, de millions?


V.

Avons-nous besoin de conclure? — Aussi longtemps que nous saurons maintenir devant nous sur le trône, dans la régence musulmane, un prince musulman et, autour de ce prince, une administration indigène dirigée par quelques Français d’élite, nous aurons en Tunisie du calme et, si on en juge par les revenus de ces dernières années, des bénéfices. — Quatre années d’une administration honnête ont relevé la Tunisie, plus que triplé ses recettes; que n’obtiendrons-nous pas dans cette belle contrée, fertile et salubre entre toutes, quand les routes, les chemins de fer, les ports, tous les grands travaux que la régence entreprend sur ses seules ressources seront achevés ; quand les forêts, les mines, les carrières, les sources seront exploités, les oasis protégées contre les sables, les immenses plaines irriguées et cultivées? Nous devons nous féliciter hautement de ce qui a été fait jusqu’à présent, gardons-nous de le compromettre.

Un jour, quelques impatiens réclameront l’annexion, et l’opinion publique, trompée, mettra peut-être son amour-propre à les soutenir; elle se lassera de voir durer le bey; elle en rira, probablement parce que nous laisserons de jour en jour tomber son autorité, qu’il faudrait soutenir, au contraire, malgré lui, au besoin. Peut-être un bey inintelligent provoquera-t-il notre mauvaise humeur, ou simplement les récoltes manqueront une année; nous aurons cessé d’être économes, nous aurons autorisé les villes à s’imposer ou à emprunter pour construire des théâtres et des édifices magnifiques, les recettes n’atteindront plus nos prévisions au lieu de les dépasser comme aujourd’hui, et nous rendions l’administration indigène responsable de nos embarras. — Ces éventualités sont à prévoir; le jour où elles se présenteront, si le gouvernement ne résiste pas, s’il transforme la Tunisie en un quatrième département algérien, la jeune colonie qui a si vite fait honneur à la république ne sera plus qu’une source de dépenses, un entrepôt de