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deux d’entre eux, leurs études finies, ont été déjà envoyés, aux frais du collège, à Versailles, dans une école spéciale, d’où ils reviendront capables d’enseigner à leur tour.

Afin d’éviter ces voyages que les musulmans pourraient voir d’un œil défiant, qui coûtent cher et dont les résultats sont aléatoires, la nouvelle direction a fondé à Tunis même une école normale où sont admis les meilleurs élèves du collège arabe et ceux des collèges européens, et où les uns et les autres se perfectionnent dans l’étude des deux langues qu’ils devront plus tard enseigner; ils vivent ensemble sur le pied de l’égalité, de la camaraderie ; ils ont devant eux un avenir semblable. Les Tunisiens comprennent ainsi que nous ne voulons pas les annihiler ni les exclure de leur pays; ils se voient, dans l’école même comme dans l’administration, associés à l’œuvre de régénération que nous avons entreprise et où ils ne demandent qu’à nous suivre : là est le secret de notre succès auprès d’eux.

Les Européens aussi ont leurs écoles. Les Français étant en minorité parmi eux, quelques précautions, un peu d’adresse même, étaient nécessaires pour que les nôtres ne fussent pas isolées entre les Arabes, désertées par les étrangers; il fallait du moins, au moment où elles avaient le plus besoin d’être soutenues, quand elles étaient entre nos mains un instrument d’apaisement, ne pas les affaiblir ; — Et cependant, c’est hier encore, après tous les services qu’elles nous ont rendus et quand nous en attendions tant d’autres d’elles, qu’il a été question de retirer aux religieux qui les ont fondées et qui les dirigent l’appui traditionnel du gouvernement français, la subvention qui les faisait vivre. Il est impossible qu’on n’en revienne pas à la leur maintenir. Les partisans les plus convaincus de la séparation de l’église et de l’état, les adversaires les plus ardens de toute institution cléricale en France, peuvent sans contradiction et sans abandonner leurs préventions ou leurs griefs, uniquement par intérêt, par économie même, encourager notre clergé d’Afrique ou d’Orient et lui voter des subventions, car il propage notre civilisation, notre langue, nos idées mêmes, habitue peu à peu les populations indigènes à notre contact, à nos usages, à nos goûts et à nos besoins ; il dissipe leur défiance, il entretient avec elles des relations dont profitent notre commerce en temps de paix et nos armées en temps de guerre; il empêche qu’on oublie le grand nom de notre pays ; par conséquent, il nous rend à l’étranger quantité de services dont il serait puéril de ne pas tirer avantage sous prétexte qu’on gouverne sans lui en France; et ces services, l’administrateur le moins suspect de cléricalisme n’hésiterait pas à se les assurer par un sacrifice qui est minime en comparaison de ce qu’il rapporte. Sans remonter jusqu’à saint Vincent de Paul et à saint Louis, nous n’avons qu’à recueillir les fruits d’une propagande qui s’exerce