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et pour ne pas soulever l’indignation des voyageurs qui ne cessent de traverser la régence, nous ne pouvons pas tolérer que la capitale du pays que nous protégeons soit aussi sale, et, — Dussions-nous gâter son climat, — nous sommes obligés de la nettoyer. L’établissement de nouveaux égouts constitue un travail ingrat entre tous, et nous comprenons qu’on hésite à donner le premier coup de pioche dans ce sol et qu’on le remue : il faudra pourtant s’y décider.

L’exécution de tant de réformes dans les conditions que nous connaissons, et le maintien de l’ordre pendant une période de transition qui dura plus de deux ans, n’auraient pas pu être assurés sans le concours d’une police bien organisée. Celle des beys, par bonheur, était restée à peu près intacte dans l’effondrement général : instrument de première nécessité pour ces souverains autocrates, elle avait toujours été recrutée avec le plus grand soin, mais elle n’était pas rétribuée. Suivant le système dont nous savons les beaux effets, chaque agent de police ou zaptié se payait sur ses prises, c’est-à-dire que les individus arrêtés devaient donner 10 piastres (6 fr.) à celui qui les avait conduits en prison, sous peine de n’en jamais sortir. Quant à la nourriture, agens et prisonniers s’entendaient à l’amiable, nul ne s’en occupant pour eux qu’eux-mêmes et leurs amis. Les zaptiés qui n’auraient arrêté personne seraient donc morts d’inanition ; le moyen était ingénieux pour stimuler leur zèle sans bourse délier. — Qu’aurions-nous fait en Tunisie sans ce personnel nouveau pour nous, si nous l’avions trouvé indigne d’être au service d’un gouvernement civilisé? En le conservant et en le payant régulièrement, en récompensant par des primes ceux des agens qui se distinguaient, nous avons trouvé en lui un auxiliaire précieux : à tel point que, en 1883, quand la population était encore en effervescence, 370 agens, sous la direction d’un commissaire central, avec l’aide de quelques gendarmes et de nos patrouilles, suffisaient pour maintenir la tranquillité, prévenir ou réprimer les crimes, assez rares d’ailleurs dans la ville de Tunis : et pourtant des quartiers entiers, aux rues étroites, fangeuses, n’étaient éclairés alors ni au gaz ni autrement; les cafés italiens et grecs, les brasseries françaises, les guinguettes maltaises, les maisons arabes, rejetaient chaque soir sur le pavé des vagabonds et des ivrognes de toutes les races, et, chaque semaine, comme la mer dépose son écume sur la plage, les différens bateaux d’Europe, d’Egypte et d’Algérie débarquaient des troupes d’inconnus, rebut de tous les ports de la Méditerranée, Siciliens, Grecs, Levantins, qui venaient tenter la fortune ou fuyaient la justice de leur pays. — Les colonies sont condamnées à se peupler du trop-plein de toutes les nations; elles n’ont pas le droit de