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des bancs inégaux, variables, dont les bâtimens n’approchent pas. Nos bateaux de guerre ne mouillent jamais qu’à 3 milles en avant de La Goulette, soit à une grande heure de Tunis. Il est donc naturel que la capitale de la régence tienne à avoir un port, à devenir le point de départ et d’arrivée de toutes les richesses qu’elle promet et qu’on lui promet. Malheureusement, sur cette question encore, nous n’avions pas les mains libres : la construction du port était déjà concédée ! Cette concession n’était guère conciliable avec les principes de notre nouvelle administration, mais elle n’en existait pas moins. En outre, le choix de Tunis était loin d’être approuvé par tous comme port principal de la régence ; on disait qu’il eût mieux valu choisir Bizerte, situé en face même de Marseille et de Toulon, et sur le passage des bâtimens qui vont de l’océan à l’isthme de Suez; là, il eût suffi de bâtir une jetée et de creuser un très court chenal pour ouvrir aux vaisseaux du plus fort tonnage, à toute une flotte de guerre, l’abri d’un admirable lac, profond et câline, l’unique port naturel de l’Afrique du Nord. Ce port eût été relié à Tunis par un chemin de fer, comme est Le Havre à Paris. On ajoutait que le jour où on remuerait la fange qui s’est accumulée depuis des siècles dans le lac de Tunis, on y trouverait peut-être des monumens historiques et artistiques intéressans, mais qu’on empoisonnerait l’air de la ville et des alentours, qu’on rendrait Tunis accessible, mais inhabitable; que ceux-là mêmes enfin qui réclament, soit comme riverains ou futurs expropriés, soit comme commerçans, le choix de Tunis, seront peut-être les premiers à le regretter. Ces argumens ont leur valeur, ils n’ont pas prévalu. Après de laborieuses négociations, le gouvernement tunisien a repris sa liberté, transformé l’ancienne concession en un contrat d’entreprise : il sera maître de percevoir lui-même ses droits de ports et, dès cette année, après que le conseil des ponts et chaussées en aura approuvé les plans, les travaux vont commencer. Un long chenal de 13 kilomètres creusé en mer et protégé par une jetée traversera l’isthme, puis le lac, et amènera les plus forts bâtimens quand ils ne seront pas trop pressés et que le temps ne leur permettra pas de rester comme par le passé mouillés à La Goulette, dans de vastes bassins, à l’extrémité de la marine, le grand boulevard du quartier nouveau, européen. La Tunisie paiera le concessionnaire, non à l’aide d’un emprunt, mais sur ses ressources ordinaires, et, dans le cas où sa situation financière deviendrait moins bonne, un fonds spécial est constitué, grâce auquel on sera sûr de ne pas interrompre les travaux. La Société de construction des Batignolles a été choisie pour exécuter cet ouvrage si considérable en cinq années. Cette société a déjà mené à bien de très importantes constructions ; elle travaille extraordinairement vite,