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La marine n’est pas restée non plus inactive : ses ingénieurs, depuis quatre ans, ont commencé la carte des côtes, déterminé les profondeurs de ces bancs où tant de bâtimens venaient s’échouer ; elle a choisi les points que doivent éclairer des phares, des signaux.

Le chemin de fer qui relie Oran, Alger, Constantine et Bône à Tunis doit s’étendre loin dans le sud, jusqu’à Gabès, et faire cesser l’isolement de la région des oasis. Cette nouvelle ligne, dont l’intérêt est surtout stratégique, coûtera peu relativement à celles qu’on a construites jusqu’ici en Algérie et en Tunisie; elle sera à voie étroite ; on paraît décidé à abandonner pour toutes les lignes de pénétration vers le désert la largeur des voies de France que le respect de la symétrie nous avait fait adopter pour les grandes lignes parallèles à la mer. Elle passera par Zaghouan ou l’Enfida, pour relier Tunis à Kairouan et à Sousse ; de Gabès elle suivra au nord du désert ou des chott une direction de l’est vers l’ouest, traversera l’oasis de Gafsa pour remonter à Tebessa et aller s’amorcer au réseau du Tell à Soukarras. Le chemin de fer de Soukarras à Tebessa sera terminé en 1888.

Les routes et les chemins de fer doivent aboutir à des ports, et la Tunisie n’en avait pas un. Du mois de septembre à la fin de mars, les paquebots étaient exposés aux hasards d’une navigation aventureuse. Les capitaines veillaient chaque nuit, de peur d’être victimes de ces côtes mouvantes, sombres, mal connues, sans refuges, à peu près naturelles. Encore aujourd’hui, les communications entre Tunis et Marseille sont irrégulières, quoique rapides (trente à trente-six heures de traversée). Le bateau direct qui, chaque semaine, doit emporter la poste pour France, arrive du sud, — De Sfax, de Sousse, — où trop souvent il n’a pu faire escale ; à La Goulette, si la rade est rudement balayée par le vent, il attend douze heures, vingt-quatre heures, avant d’envoyer un canot à terre; encore l’a-t-on vu repartir et emmener les passagers qui comptaient descendre à Tunis, laissant sur le quai ceux qui avaient pris leurs billets pour Marseille. A Gabès, j’ai vu le courrier jeter l’ancre une après-midi, le capitaine permettant aux passagers d’aller admirer l’oasis, et recevant pendant ce temps à son bord des visiteurs, officiers, colons, mercanti ; une bourrasque s’élevant tout à coup menaça de l’envoyer à la côte; il dut s’éloigner au plus vite, enlevant ses hôtes, abandonnant ses passagers. — Sfax offre une rade à peu près sûre ; on n’y débarque pas comme à Gabès à dos d’homme, mais elle a pourtant très peu de profondeur.

Quant à Tunis, on sait que cette ville est séparée de la mer par un lac ou un marécage de 36 kilomètres environ de circonférence, puis par un isthme appelé Ténia, sur lequel est bâtie La Goulette : d’un côté de l’isthme, le lac, de l’autre, la mer: la mer et le sable,