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ports d’autres moyens de communication que les caravanes de chameaux ou d’ânes, c’est-à-dire qu’ils ne pouvaient exporter ni faire venir aucune marchandise encombrante, le chameau étant essentiellement gauche, de peau sensible et routinier. Aujourd’hui, Tunis est méconnaissable, ses rues sont pavées régulièrement; des routes macadamisées mènent à La Goulette, à La Marsa, au Bardo, à Hammam-lenf. Les excursions à Carthage sont moins pittoresques : adieu le vague chemin gazonné qu’on suivait en hiver, où trois chevaux au grand galop tiraient un landau disloqué, escaladant des monticules, franchissant des flaques de pluie larges comme des lacs, piétinant les jeunes champs d’orge, et n’arrivant au but, éclaboussés, boueux, fumans, qu’après cent cahots et tant d’incidens que le voyage, — une heure et trois quarts, — paraissait plus court qu’aujourd’hui.

L’armée a beaucoup aidé l’administration des travaux publics. Dans la plupart des postes militaires, le soldat, ne combattant pas, s’ennuyait et tombait malade s’il n’avait pas beaucoup à faire ; le spleen ou la souda, comme disent les Arabes, le prenait; dans un ou deux camps mêmes, quelques hommes se sont suicidés. Les chefs ont voulu réagir. Les uns, campés sur l’emplacement d’anciens postes romains, ont commencé des fouilles, déblayé des temples, des bains, découvert des statues, des baptistères, des mosaïques, des inscriptions qu’ils envoyaient, par les soins de leur général, au Louvre, dans les premiers temps, quand le service des antiquités et des arts n’avait pas encore réglementé les fouilles, plus tard à Carthage, au musée du cardinal Lavigerie, et enfin à Tunis, ou plutôt au musée récemment ouvert au Bardo. D’autres ont pris à cœur de transformer leur camp en une petite ville; ils se fortifiaient, plantaient des jardins, cuisaient des briques, faisaient bâtir des maisonnettes, des magasins, des cantines, établir un mess; avec quelle ingéniosité! et, comme la poste et les provisions n’arrivaient pas assez vite, perçaient des chemins. Dans le sud, le travail ne fut pas très difficile, il a suffi d’élargir les pistes ; une voiture peut rouler de Gabès à Gafsa et à la rigueur de Gafsa à Tebessa, par conséquent traverser toute la Tunisie. Dans le nord, les chemins coulèrent plus de peine, plus d’argent aussi, suivant que le pays est plus ou moins accidenté. En Kroumirie, le génie a fait passer en pleine forêt dans la montagne une route très belle, trop belle, car elle exige des frais d’entretien qui sont en proportion de sa largeur.

Dans tous les sens, des missions militaires topographiques ont parcouru la régence et dressé des cartes qui rendront grand service au gouvernement, à l’armée et aux voyageurs, jusqu’au jour encore lointain où la Tunisie aura sa carte scientifique, sa carte de l’état-major.