Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 80.djvu/356

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’attirer les travailleurs pauvres dans les colonies pour les peupler; il tend à substituer l’Européen à l’indigène. Peut-être, — cela est contestable, — Ce système serait-il bon à appliquer dans quelques-unes de nos colonies, si nous avions un excès de population et si, comme les Allemands, les Anglais, les Italiens, nous n’avions pas de répugnance à nous expatrier. Il n’en est pas ainsi; l’expérience faite en Algérie l’a surabondamment prouvé. Tandis que, dans toute l’Afrique du Nord, la population indigène, loin de diminuer, s’accroît sensiblement, grâce au bien-être que lui assurent de jour en jour davantage les progrès de notre civilisation, la majorité des ouvriers européens, employés par l’agriculture dans la province de Constantine, est italienne; dans la province d’Oran, elle est espagnole. En Tunisie, elle sera italo-maltaise, les Italiens étant beaucoup plus nombreux que les Maltais. Il est difficile de faire le calcul des Français qui arrivent chaque année dans la régence, les troupes du corps d’occupation étant comprises dans les listes des passagers sur nos bateaux; mais, pour les Italiens, il en est arrivé, en 1885, 15,987 et il n’en est sorti que 8,449. Si cette proportion énorme se maintenait, ce qui n’est pas le cas d’après la statistique de 1886, l’Italie seule fournirait à la Tunisie près de 40,000 émigrans en cinq ans. Ces peuples du Sud, on le sait, mais on l’oublie toujours, sont habitués au soleil ardent, vivent de peu et se contentent, par conséquent, aussi bien en Afrique qu’en Amérique, de salaires qui sont trop faibles pour nos besoins. L’inégalité ou la dureté du climat oblige l’homme qui vit plus au nord à se loger, à se vêtir, à manger beaucoup, à boire du vin ou de la bière. Le nègre dort sur la terre à peu près nu et travaille pour une poignée de grains qu’il écrase entre deux pierres et qu’il délaie dans de l’eau; l’Arabe se rassasie avec des dattes, des olives, du maïs ; l’Italo-Maltais avec une soupe, un oignon, des figues, un morceau de mauvais pain. Un Bourguignon dépérirait vite à ce régime, un Anglais plus vite encore. Nous ne pouvons pas espérer qu’un colon français sera assez patriote et assez riche pour employer ses concitoyens de préférence à des ouvriers étrangers, qui coûtent moitié prix, même moins. Or, comme les ouvriers sont plus nombreux que les patrons, les étrangers, indigènes ou européens, seront toujours en majorité dans nos colonies; le rêve de les éliminer est donc chimérique.

Les concessions attirent, il est vrai, les Français, mais là n’est pas la difficulté ; l’important est de les fixer dans le pays. En admettant qu’il ait cru pouvoir prendre au bey son domaine, le gouvernement français n’aurait pas pu se borner à le concéder purement et simplement; il ne suffit pas d’installer sur un lot de terrain inculte un concessionnaire sans ressources : il faut l’aider, lui avancer de l’argent, lui donner des semences, des bestiaux, l’exempter d’impôts,