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actions que le nôtre, puisqu’ils n’admettent ni le suffrage universel ni le service militaire obligatoire pour tous, ne pas l’exiger de leurs nationaux.

Le jour où notre armée coloniale, dont les élémens sont tout prêts, sera constituée, il serait hardi de croire que l’opinion deviendra subitement favorable aux entreprises d’outre-mer, mais elle sera moins nerveuse; la chambre, moins tourmentée, jugera avec plus de sang-froid et de patience les vicissitudes de notre action à l’étranger; le gouvernement, moins attaqué, pourra défendre ses agens avec plus de force, et ceux-ci auront plus d’autorité. A Tunis, hâtons-nous de le reconnaître, le résident a été constamment soutenu par le gouvernement : pendant près de cinq années, il a pu résister à tous les assauts, sortir vainqueur de tous les conflits et rester, en définitive, maître de son terrain; non-seulement on ne l’a pas rappelé aux heures difficiles, mais on l’a élevé en grade, on l’a fortifié, lui et son entourage, par tous les moyens possibles, jusqu’au jour où, sans risquer de voir son œuvre compromise, il a pu laisser à d’autres le soin de la continuer et accepter les hautes fonctions d’ambassadeur en Espagne (novembre 1886) : il est bon qu’on n’ignore pas ce fait et qu’on en tienne un juste compte, car en dépit de quelques incidens pénibles, mais qui s’oublieront, puisqu’ils n’auront pas eu d’effet, il atteste que le gouvernement de la république a récompensé ceux qui l’ont bien servi. Il n’en a pas toujours été ainsi, tant s’en faut, dans l’histoire de nos entreprises coloniales, et c’est une tâche si lourde, si périlleuse sous tous les régimes pour un ministère que celle de défendre un agent auquel il donne, en somme, le mandat de constituer au loin un état, cet agent est si assuré de ne pouvoir contenter tout le monde, surtout dans le présent, que, lorsqu’il s’est agi d’organiser après la Tunisie le Tonkin, on s’est demandé avec raison si les difficultés, multipliées par la distance, ne seraient pas insurmontables. Pour éviter de se voir constamment sur la brèche et pouvoir établir sans trop d’incertitudes, pendant la période ingrate des débuts, les bases d’une administration solide, le gouvernement a pris le parti de recourir au patriotisme d’un député éminent, populaire, appuyé par ses électeurs et par ses collègues, maître de défendre lui-même ou de faire défendre ses actes, à l’infortuné Paul Bert, et de lui demander d’aller dans ces régions presque inconnues faire accepter le protectorat de la France. Cette nomination, dont les effets si heureux furent cruellement interrompus par la mort, montre quels ont dû être les embarras du gouvernement, dans quelle impossibilité il fut de trouver en dehors du parlement un homme qu’il pût défendre contre le parlement.