Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 80.djvu/351

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous savons ce que nous a coûté le rappel prématuré de nos troupes au mois de juin 1881 en Tunisie. En Chine et à Madagascar, nos généraux et nos amiraux, dans la crainte d’alarmer la chambre, devaient y regarder à deux fois avant d’employer les moyens ou de prononcer les paroles qu’il fallait pour intimider nos ennemis; s’ils lançaient un ultimatum, c’est à Paris qu’on perdait la tête, le ministère était obligé de se donner beaucoup de peine pour en atténuer la portée. En s’apitoyant bruyamment sur le sort de nos soldats, on les affaiblissait, on multipliait et on augmentait leurs périls; le télégraphe, la presse étrangère, rassuraient nos adversaires, leur donnaient courage en leur montrant nos régimens comme des troupes isolées que refusait de suivre la nation. On rendait en outre impossible la tâche des négociateurs qui venaient après notre armée.

Ne craignons pas de le répéter, sans armée coloniale, toute expédition lointaine est impopulaire, par conséquent difficile à mener à bonne fin. Les Hollandais, qui ont vécu jusqu’à ces dernières années de leurs colonies orientales, et qui ne devraient reculer devant aucun sacrifice pour les conserver, ont inséré dans leur constitution un article qui interdit l’envoi aux Indes d’un seul homme de leur armée; ils recrutent des volontaires; pas un des leurs n’est exposé à s’en aller là-bas contre son gré : ainsi, tout profit pour eux à coloniser. — Les Portugais, qui ne sont pas non plus novices en cette matière, et qui ont pourtant donné à leurs colonies une organisation très libérale, les considérant même, à regret il est vrai, comme faisant partie du territoire national, suivent la même règle sans qu’elle soit inscrite dans leur constitution ; leur armée territoriale est distincte de celle qui demeure aux colonies ; celle-ci recrute des indigènes, des nègres mêmes, qui parviennent jusqu’au grade d’officier, et des disciplinaires. Les officiers portugais qui consentent à s’expatrier gagnent un grade; un capitaine quitte Lisbonne pour être commandant à Saint-Thomas, par exemple. — L’armée anglaise est également composée de volontaires ; on peut dire qu’elle est exclusivement coloniale; ce sont les milices qui ont la garde du territoire. — Plus qu’aucun autre peuple, sous son incomparable climat, le Français est heureux chez lui, ses enfans sont gâtés, restent dans la famille, où ils sont peu nombreux, très tard, jusqu’à l’âge mûr; il est par conséquent moins porté qu’un autre à s’en séparer, il ne s’y résigne que pour leur bien, et quand ils ont chance de gagner leur vie ou d’acquérir une position. La prudence la plus élémentaire commande donc de ne pas lui imposer cette séparation sans un impérieux et exceptionnel motif, quand nous voyons des gouvernemens plus libres de leurs