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IV. — LES PETITS ASILES.

Il est dans la nature d’une œuvre de bienfaisance intelligemment conçue, répondant à un des nombreux desiderata de notre société compliquée, de se développer par elle-même, sur elle-même, comme le figuier des Banians, dont les branches deviennent des arbres en touchant terre. Si petitement commencée par Mlle’ de Grandpré, qui habille une femme demi-nue, l’Œuvre des Libérées a pris les proportions que j’ai fait connaître. Ce n’est pas assez ; de même que les hôpitaux de Paris ont un hospice de convalescence au Vésinet, elle rêvait depuis longtemps de posséder une maison de convalescence morale où, entre la claustration pénitentiaire et les périls de la vie libre, on pût faire une sorte d’apprentissage qui permît d’affronter la responsabilité de soi-même sans la laisser tomber en défaillance. Ce rêve, elle est en train de le réaliser d’une façon ingénieuse et nouvelle. Tout asile qui abrite de nombreux pensionnaires prend les apparences, sinon le caractère, d’une caserne ou d’un couvent, selon que l’on y reçoit une direction laïque ou religieuse. La règle est uniforme, elle s’impose aux natures les plus diverses, aux habitudes les moins semblables ; l’indulgence peut la tempérer, mais le bon ordre exige qu’elle soit maintenue. Là rien ne rappelle l’esprit de famille et c’est ce que l’œuvre cherche surtout à susciter et à entretenir chez les pauvres femmes sans appui dont elle a accepté la charge. Elle veut leur donner le repos intermédiaire qui leur permettra de secouer le souvenir de la prison, et néanmoins leur laisser une liberté dont leur initiative profitera pour faire des démarches en vue de découvrir et d’obtenir une condition. Plutôt que de laisser ces malheureuses sur le pavé avec les quelques sous qui leur ouvriront les portes d’un garni, l’œuvre les recueille, les loge et les nourrit, non pas dans une maison, mais dans des maisonnettes. Elle vient de créer, sans peut-être s’en douter, les petits asiles où la misère trouvera l’étape du réconfort, de la confiance, de la dignité, si la charité les adopte.

De Paris à Saint-Cloud, ce n’est plus qu’une grand’rue très peuplée qui se divise en plusieurs communes, dont Billancourt est la plus importante. Là, sur des voies nouvellement ouvertes, on a loué deux maisons, dont le loyer, — 500 francs par an, — indique l’exiguïté. On pourrait les appeler des infirmeries temporaires, car on y dépose pendant quelques jours et au besoin pendant quelques semaines les blessés du vice et de la pauvreté. On n’y souffre pas. Je les ai visitées par un temps glacial ; un feu de coke brûlait dans