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directrices de l’œuvre ont actuellement leurs entrées au dépôt, ce qui est un progrès considérable, parce qu’alors l’action, au lieu d’être simplement réparatrice, devient préventive et préservatrice. Pour bien me faire comprendre, je dois expliquer ce que c’est que le dépôt près la préfecture de police. Lorsqu’un individu est arrêté, il est conduit au dépôt, il y est interné et y reste jusqu’à ce que l’administration ait ordonné son transfert à Mazas, si c’est un homme, à Saint-Lazare, si c’est une femme. Dans le cas de certaines peccadilles constatées en flagrant délit, pour lesquelles le tribunal de simple police est incompétent et le tribunal correctionnel trop sérieux, — mendicité, vagabondage, — Le petit parquet fait comparaître immédiatement les délinquans et prononce sur leur sort. Il est facile de conclure que, si l’on peut intervenir au dépôt même avant que la préfecture de police ait livré le prévenu à justice, ainsi qu’elle dit, il sera quelquefois possible d’empêcher une malheureuse de comparaître devant des juges et de porter pour sa vie une note de flétrissure. J’ai hâle de dire qu’en certaines circonstances excusables, en présence d’une première faute qui dénote plus d’étourderie que de perversité, certain bureau administratif, situé quai des Orfèvres, fait preuve de sentimens d’humanité que l’on ne saurait trop louer. L’Œuvre des Libérées est avertie qu’une « espèce » intéressante est au dépôt et on accourt. Voici un fait qui s’est produit récemment. Une ouvrière en confection reçoit d’une couturière des étoffes taillées qu’elle doit rendre sous forme de robe dans un délai déterminé. L’ouvrière se hâte, termine son ouvrage et, comme elle est sans argent, mais qu’elle compte en toucher bientôt, elle engage la robe au mont-de-piété pour la somme de 4 francs. Lorsque le jour de la livraison est arrivé, elle n’a pas la somme qu’elle attendait, n’a pu retirer son nantissement, pleure et fait l’aveu de sa faute. La patronne couturière dépose une plainte chez le commissaire de police ; l’ouvrière est arrêtée et enfermée au dépôt. Elle a vingt-deux ans, elle est de bonne conduite; elle est pauvre et vit de son travail. Elle n’est pas l’objet d’une poursuite judiciaire; elle est sous les verrous en vertu d’une plainte particulière portée contre elle par une personne dont elle a lésé les intérêts. Si cette personne consent à retirer sa plainte, l’action, qui n’est encore qu’administrative, cesse et la pauvrette est mise en liberté. Tout de suite on court chez la patronne, on lui offre de dégager la robe qui est au mont-de-piété et on l’adjure de ne point laisser traduire en justice une jeune fille dont l’existence va être contaminée à jamais pour une faute que la pauvreté seule devrait faire pardonner. La négociation fut longue, car la couturière était rétive; on en eut raison cependant, et je crois que l’éloquence ne put la convaincre qu’en