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an d’emprisonnement; il en est résulté une gêne extrême, sinon la misère pour le ménage. Le sort de la femme périclitait, l’œuvre est intervenue et, à force de démarches, a obtenu une diminution de la peine imposée au coupable. Celui-ci avait été récemment rendu à la liberté, et sa femme venait remercier la directrice de la société qui l’avait libérée, en lui rendant le mari dont le gain journalier est indispensable à l’existence d’une famille. Dans ce cas, l’œuvre n’a point forcé l’esprit de ses statuts, elle a fait acte de protection en faveur de la femme. L’ouvrière en lingerie était heureuse et ne le cachait pas; comme pour venir elle avait perdu une demi-journée de travail et qu’elle avait pris l’omnibus, car elle demeure loin de la place Dauphine, on lui remit une petite somme équivalant à sa dépense et à son manque à gagner.

Un fait qui n’est pas sans analogie avec celui-ci se produisit presque immédiatement. Un détenu qui a fini son temps est revenu chez sa femme ; il a bonne envie de travailler et espère être agréé dans une des grandes usines de l’ancienne banlieue de Paris, mais pour tout vêtement il n’a qu’un pantalon usé jusqu’à la trame et un tricot de laine percé aux coudes ; s’il se présente aux contremaîtres dans ce costume délabré, il est certain de n’être pas embauché, par conséquent il ne gagnera rien et retombera de tout son poids sur sa femme. On fouille dans les nippes, on fait un paquet de bonnes hardes et la situation de la femme sera améliorée, parce que l’homme proprement vêtu trouvera sa place à la fabrique. Si l’on s’empresse à secourir l’homme afin de soulager la femme, on peut penser que l’on ne s’épargne pas lorsqu’il s’agit des enfans que l’on se plaît à rendre « braves, » comme disent les paysans, dans l’espérance souvent justifiée de ramener la femme au devoir et de l’y maintenir en développant chez elle l’amour-propre de la maternité. Aussi le vestiaire est plein de petits vêtemens que bien des mères envieraient. J’y ai vu une couronne funéraire ornée de pendeloques de perles blanches : à quoi bon ? Une ancienne détenue, en bonne place aujourd’hui, doit venir la chercher dimanche pour la porter sur la tombe de sa fille morte depuis peu. Est-ce excessif? Non; celle qui n’oublie pas d’honorer le tombeau de son enfant garde un souvenir par lequel peut-être elle sera préservée.

Pendant que j’étais là, écoutant avec un vif intérêt les explications que Mme de Barrau voulait bien me donner, une dame sociétaire de l’œuvre est arrivée, suivie d’une femme qui s’est assise dans l’antichambre et a pris une pose attendrissante. La dame a raconté que, passant sur le pont Neuf, elle avait été accostée par une mendiante qui paraissait fort misérable, et que, se trouvant à proximité du vestiaire, elle l’y amenait, afin que l’on vît si l’on pouvait lui faire quelque bien.